C'était il ya trente ans, j'habitais en colocation à la Porte St Denis à Paris avec deux amies, dans un appartement que nous partagions. Ensemble. Le 104 on l'appelait.
Et voilà que, le premier soir de cet été-là, il y eut une nuit de cauchemar là-dedans. Pour moi seule. Un agresseur étonamment silencieux, un dépôt de plainte, contre X car les flics ne retrouvèrrent pas ce psychopathe, à cinq minutes près, malgré leur ronde de nuit en voiture dans le quartier.
L'été passe par là-dessus, puis vient l'automne avec ses pluies et ses feuilles en tourbillons.
Pour moi aussi, il pleut au-dedans, en silence. Essentiellement muette, trauma et névrose de guerre, mais ce n'est que maintenant que je nomme cela. Essentiellement muette car j'ai compris qu'il ne faut plus en parler. Surtout pas. Je suis censée avoir tout digéré.
L'ambiance se dégrade au 104. Il n'y a pas que pour moi que les images se téléscopent, silence estomaqués et gueules tordues de ce groupe de copains qui nous papillonnent autour, à nous autres, les trois filles... Nous avions tous vingt ans, ou avoisinant... Rien ne va plus.
"- Tu ne parles plus, tu ne fais plus rien, tu ne sors plus. Fais attention, c'est lassant !"
"- Fais un voyage, finit aussi par me lâcher Pierre, un "ami". Quand on a vécu ce que tu as vécu, on ne reste pas comme cela dans le circuit !"
Mais pourquoi voyager le monde, je me dis, puisque j'ai, bien scellé en mon sein, le spectre de ce que l'on ma fait ?
C'est alors que, pour respirer, pour que l'on me fiche la paix, je prends désormais l'habitude de descendre prendre un petit noir à tel café du boulevard et là, planquée, je me repose à petits coups de souffle, n'étant plus obligée d'aligner des mots désormais creux pour complaire à la compagnie.
C'est ainsi, que de fil en aiguille, étant très régulière à ce troquet à présent, je fais la connaissance de Samia, la seule avec qui les relations humaines soient harmonieuse, sans aucune question de son fait. Elle ne sait rien, me prend comme je lui viens, et justement je lui vies bien. Samia : un visage de pleine lune sur un corps à la Rubens. Du même âge que moi, elle est fondamentalement ronde, et surtout dans sa tête.
Juste un truc, pourtant, à cette rencontre quasi sororale, vu mon contexte de vie au 104.
Samai tapine. C'est une prostituée, Strasbourg St Denis des années 80.
(à suivre)
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