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la désenchantée par Touslesbato

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Elle avait envie de poursuivre la conversation et pourtant elle ne savait plus quoi lui raconter. Comme si elle était consciente que cette très récente et très grande proximité sentimentale, littéraire, émotionnelle et personnelle avait atteint sa limite. Elle avait tant eu envie de le voir, de le rencontrer vraiment et maintenant, après son mail, elle ne savait plus très bien si elle en avait eu tant envie que ça. Elle aurait eu envie comme ils l’avaient rêvé dans d’anciennes correspondances, de deviser gaiement et sereinement parmi des champs de blés murs, le long des pentes douces et enneigées des photos de montagne qu’ils lui avaient envoyés, sous un arbre de printemps, à partager une émotion musicale ou littéraire ou une émotion tout court pourquoi pas après tout ? Et si ce après tout n’était pas possible, si elle se rendait compte que ce dont elle avait eu tant envie n’était pas possible et qu’il valait mieux arrêter tout maintenant ? Certes, leurs échanges allaient lui manquer, c’était évident mais, mais elle n’avait plus envie de rêver pour rien, lui peut-être, en fait elle ne savait pas, peut-être que justement leur drôle d’échange lui convenait, cette manière de ne pas y toucher qui parfois révélait des profondeurs insoupçonnées, chez elle, comme chez lui, mais elle avait tant envie de réalité, tant envie de connaître une vraie relation sans ambigüité, sans non dits, avec ses heurts mais avec ses vérités. Elle savait aussi qu’elle ne pouvait pas s’empêcher d’aimer les hommes, et surtout lui, mais qu’elle ne pouvait plus leur faire confiance. Partir plutôt que d’être déçue. Avant qu’ils ne la déçoivent. Garder un souvenir ému de leur échange sans tâche. Une sorte d’idéal de relation, puisqu’il semblait s’en contenter, avant qu’elle ne devienne chargée de demandes cachées, de demandes tout court. « J’ai envie de te voir ». Parfois cette phrase, elle regrettait de l’avoir écrite et parfois non, elle sentait que ce qu’elle regrettait, c’était sa non réponse, à lui. Elle le connaissait si peu. Sa vie elle ne pouvait réellement l’envisager, à peine l’entrevoir à travers les rares mots qu’il évoquait à son sujet. Et s’interroger parfois sur ce qui le poussait à se livrer sur le net tandis qu’il disait avoir une femme et des enfants à ses côtés. Ses raisons, qu’il avait esquissées, elle les comprenait tout en ne les partageant pas tout à fait. Mais elle n’était pas dans sa tête, ni à sa place, et d’ailleurs elle n’aurait bientôt aucun espoir d’avoir une quelconque place à ses côtés, puisqu’elle en avait décidé ainsi. Elle savait aussi que son image du couple était si noire qu’elle préférait le vivre par intermittence, dans une sorte d’aveuglement débridé et lucide, une gaieté forcée car elle savait presque toujours qu’elle en serait désabusée, les histoires d’amour finissent mal en général et cette phrase bateau en était presque rassurante... elles finissent toujours, le tout c’est de le savoir. Elle aurait aimé ne pas tant l’idéaliser mais comment ne pas aimer les mots qu’il écrivait, comment ne pas être bercée par les phrases qu’il posait, avec tant d’art et de douceur et tant de profondeur... Elle avait envie de pleurer à l’idée qu’elle ne les verrait plus ou qu’elle ne les verrait plus écrites pour elle, juste pour elle. Parfois comme maintenant, cela l’effrayait cet amour des mots d’un autre, cet amour pour un fantôme d’homme qu’elle ne pouvait rendre vrai. Cette crainte du non vrai, perpétuelle, je préfère que tu sois une femme mais que je le sache, je préfère que tu aies des défauts mais que tu ne me les caches pas, je préfère que tu sois laid mais que tu te montres, je te préfère réel avec toutes imperfections plutôt que beau, grand, homme, mais caché derrière un écran ; Trop de temps à lire ses mots, trop de temps à vivre cette relation virtuelle qui s’était maintenant épuisée par manque de nourriture réelle, vivante. Les mots embellissent mais embaument aussi le quotidien. Il y a des mots qui sauvent par leur capacité à faire ressurgir l’espérance mais ces mêmes mots font tourner en rond et emmènent droit dans une impasse, si aucune réalité ne leur sert de tuteur. Elle en arrivait même, comme à cet instant, à lui en vouloir de l’avoir fait rêver. Mais elle savait bien que c’était inévitable qu’elle se mette à rêver. Quitte à le faire, que ce soit sur ses mots, ils étaient si beaux. Elle avait aussi écrit de jolies choses, il l’avait inspirée aussi. Elle avait pris un peu de la douceur de ses mots et avait enchanté son monde par petite touche, elle aimait se rendre compte de cela également, que ce monde qu’elle trouvait parfois déjà si beau, il lui avait permis de le rendre encore plus beau. A deux, ils avaient créé un monde de rêves éphémère et doux. Mais son côté tranchant avait repris le dessus. Couper la liane avant qu’elle ne l’étouffe, couper les liens fragiles qui risqueraient de devenir blessants à force d’aveuglement sur leurs réalités à eux deux. Couper les pousses qui tentaient de s’agripper à une illusion virtuelle qui lorsqu’elle s’effondrerait, ferait chavirer tout son fondement. Car elle savait bien que parfois les mots qu’ils utilisaient pour se rassurer, pour ne pas faire de vagues, pour ne pas déchirer leur étrange embarcation plus transparente et virtuelle encore que le papier, n’étaient pas tout à fait faux, mais pas vraiment vrais non plus. Amitiés, je t’embrasse, amicalement... presque des gros mots parfois, tellement, tellement... Je veux plus ! avait-elle envie de hurler mais elle le pensait juste, et cette pensée était tellement intense que le mot ami, qu’elle avait pourtant toujours particulièrement chéri, lui semblait maintenant trop petit ou trop vide comme une coquille devenue inutile : arrêtons de mentir, arrête de te mentir, cette histoire ne peut continuer de cette manière, tu le sais bien et lui aussi doit s’en douter, même s’il ne le sait pas. Le romantisme qu’elle savait chevillé à son âme, elle l’avait senti se réveiller, et l’avait laissé s’étirer, prendre un peu d’aise, mais là ça n’allait plus du tout. Elle ne voulait plus lui laisser la possibilité de déployer ses ailes pour qu’au bout d’un voyage impossible, elle se fracasse méchamment contre le réel. Question de survie. Souffrir mille morts elle avait déjà connu. Ce n’était pas drôle. Froide et déterminée à l’instant, elle ne voulait plus se soumettre aux caprices de ses sentiments et de son imagination. La dévastation, même si elle s’en était toujours remise, ne l’attirait plus du tout. Non, non, je n’y retomberai pas, surtout pas comme ça ! S’il avait été là, très vite elle aurait su. Qu’elle l’aimait vraiment ou qu’elle s’était inventée l’amour. S’il avait accepté de la rencontrer, ils se seraient peut-être rendus compte, comme il semblait plus le craindre qu’elle, que leurs mots écrits, aussi poétiques soient-ils, n’étaient qu’un paravent cachant leurs réalités vides de sens. Tristesse et déception auraient certes suivi, mais aussi soulagement et lucidité car dans ce cas, effectivement, comment construire quelque chose sur du rien ? A moins, qu’au fil des heures, des jours, des semaines passés à se connaître vraiment, ils ne découvrent une autre réalité : des mots écrits qui n’auraient été que le prélude d’une autre histoire bien plus longue, pleine et complexe que leurs jolies petites histoires inventées à quatre mains. Mais elle ne saurait jamais. Et lui non plus.

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