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Quand passent les grues par Seleucie

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Tout ce qui est beau est rare. Tout ce qui est rare est précieux. Tout ce qui est beau est précieux… Filant les aphorismes, je me tus soudain. Je les guettais, mais mon cœur avait sauté un temps avant que mes yeux les reconnaissent vraiment. Rares et infiniment précieuses. Trois grues cendrées, becquetant je ne sais quoi dans la terre lourde naguère remuée par les tranchées. Et par-dessus, au battement d’aile serein, leurs congénères déployées dans ce grand V noir où chacune tenait sa place sans effort, happée par le courant d’air de celle qui la précédait. Les grues mystiques fascinent ceux sur lesquels elles projettent l’ombre de leurs ailes. Tellement irrémédiablement autres, sauvages, qu’elles nous ramènent aux questions les plus simples de vie et de mort. 1955. Une gamine née à Hiroshima, Sadako Sasaki, sent les prémices du mal, une leucémie, qui l’emportera. On lui raconte que quiconque confectionne 1000 grues en papier plié verra son vœu exaucé. Elle s’y attelle et pliera 644 grues de papier avant de mourir. Les Japonais lui élèveront un monument dédié à la paix, à Hiroshima. 1968. Rasul Gamzatov, poète Dagestanais (l’un des derniers à écrire en avar) visite le monument, qui lui inspire un poème rapidement traduit en russe, mis en musique, et enregistré par le Franck Sinatra de l’URSS, Mark Bernes, qui, mourant d’un cancer, s’identifie à la chanson. « Il me semble parfois que les soldats Qui ne sont pas rentrés des champs ensanglantés Ne se sont pas couchés en terre Mais transformés en grues blanches. … Le V fatigué vole à travers le ciel Il vole dans le brouillard à la tombée de la nuit Et dans la formation il y a un petit intervalle Peut-être que c’est une place pour moi … » Mais plus encore que la mort, la magie de la présence des grues ramène au jaillissement de la vie. Sans doute faut-il avoir la chance de les avoir côtoyées dans leurs repaires septentrionaux pour éprouver pleinement cette puissance qui leur est propre. Selma Lagerlöf, maîtresse d’école suédoise au début du XXème siècle, qui a voulu faire découvrir leur pays à ses écoliers à travers «le merveilleux voyage de Nils Holgerson » est de ceux qui ont ressenti leur magie quand elle décrit la parade nuptiale des grues au printemps, dans le Värmland. « ... il y avait de la sauvagerie dans cette danse, mais le sentiment qu’elle éveillait chez le spectateur n’en était pas moins une douce langueur. Personne ne songeait plus à lutter. Mais tous, ceux qui avaient des ailes et ceux qui n’en avaient pas, aspiraient à s’élever au-dessus des nuages, à chercher ce qu’il y avait derrière, à abandonner le corps pesant qui les entraînait vers la terre, à s’envoler vers le ciel. Cette nostalgie de l’inaccessible, de ce qui est caché au-delà de la vie, les animaux ne la ressentent qu’une fois par an, et c’est en voyant la grande danse des grues... » Et pour une bonne tranche de nostalgie lyrique : http://www.youtube.com/watch?v=yB1J7JBszys

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