Affalée dans son fauteuil Huguette ne se lasse plus de regarder le contrepoids de la pendule descendre vers le sol... lente et froide dégringolade qui ressemble assez à sa propre déchéance.
A 92 ans on ne peut guère espérer traverser impunément le temps sans que cette salope de faucheuse ne repère votre petit manège.
De toutes façons à ce jeu là elle n'a aucune chance la vieille, ses pauvres guibolles ne lui permettrait même pas d'échapper à une charge de tortues.
Lorsque le contrepoids ne fut plus qu'à quelques centimètres de la tapette à souris, elle décolle son gros cul de la moleskine en soufflant comme une baleine et clopine vers la pendule pour la remonter...
"Peut être pour la dernière fois" Pense-t-elle en lorgnant malicieusement vers son poisson rouge.
Depuis que le docteur lui a recommandé l'hospitalisation, elle s'est faite une raison Huguette. Pas question de se cramponner quelques semaines de plus sur un lit d'hôpital. Sa vie était ici... Sa mort n'a qu'à suivre.
Ce qui l'emmerde le plus dans ce départ, c'est qu'il passera complètement inaperçu.
Elle ne se fait aucune illusion.
L'indifférence des autres. Elle a vu ça tellement souvent à la télé. Des gens qu'on retrouve chez eux.. morts depuis des semaines !
Aujourd'hui c'est le boulot du facteur de prévenir quand un ancien casse sa pipe... quelle honte !
Huguette peut même pas compter sur le sien... la poste lui en envoie un nouveau tous les deux mois ! Des stagiaires, des intérimaires... Elle a fini par renoncer à comprendre...
Elle a aussi fini par renoncer à se lier avec ses voisins. Là aussi la valse des ménages, des divorces et des mutations a frappé. Tous trop occupés par leurs histoires de culs et d'argent ceux là... que des connards !
C'était pareil pour les caissières de la coop. Toujours à se faire engrosser au moment où l'on commence à sympathiser... que des gourdasses!
Bref depuis la mort de Fernand la seule personne à qui elle cause de temps en temps, c'est ce foutu docteur à qui elle vient de dire merde.
En tout cas, pas question de s'éclipser dans la discrétion.
Avant d'aller se coucher, Huguette vérifie que la trappe à souris est correctement armée, puis elle branche deux fils électriques sur le 220.
Le premier s'en va rejoindre le piège à souris transformé en commutateur et l'autre boucle le circuit en alimentant le filament d'une ampoule électrique plongée dans un saladier rempli de poudre à fusil (Des heures passées à dépiauter les cartouches de chasse de son Fernand ! )
Sept jours.
Le contrepoids mettra sept jours avant de percuter la trappe à souris.
C'est le délai qu'elle donne aux autres pour venir la chercher et l'emmener jusqu'au cimetière pour rejoindre son Fernand.
Sinon avec un peu de chance, si le vent souffle dans la bonne direction, elle se démerdera toute seule... elle ira par petits bouts ou même en poussière.
Pas de raison.
Avec les trois bonbonnes de gaz et les quarante litres d'essence qui entourent le saladier ça va péter du feu de Dieu!
↧