Je me demande à quel moment un Saint Pierre ceinturé de cent clés sonnantes et trébuchantes ouvrant les portes de paradis artificiels sublimes et de moi méconnus, m'accueillera flanqué d'un aréopage de juges et de jurés pour me signifier ma note et mon rang d'accès à la droite du Père .....Il scrutera son grand livre pour savoir où j'ai failli..Et à haute voix m'assènera le verdict.
Je ne suis pas certaine d'être élue. Je me trimballe en effet un tian de perversions et de manquements. Je ne serai jamais à la hauteur. Et même si je forçais un peu, pour les années qui me restent, à m'appliquer au mieux, je sens bien que ce ne serait que vain. Personne n'y croirait . J'entends déjà rire les anges !
En plus j'ai mal évalué les critères qui seront exigés. Ma copie est minable : j'ai bâclé l'introduction, mal cerné le sujet, mal défini la problématique, et puis fatiguée de rédiger et d'illustrer par l'exemple chaque concept j'ai opté pour une conclusion synthétique susceptible de rattraper la sauce, mais je ne sais toujours pas comment je vais finir.
J'ai même essayé de pomper un peu sur ma voisine d'à côté qui avait l'air de maîtriser parfaitement la rédaction, mais cela n'a pas vraiment été d'une grande utilité. On nous demande d'être original. Et ce n'est pas en copiant son style et en tortillant ses mots à elle pour qu'ils aient l'air de quelque chose dans mon discours à moi que je gagnerais des points !
Non, non, j'ai décidé de plaider simple et de me présenter nue et crue devant l'Eternité. Et même si sa plume Mont Blanc lui permet d'atteindre des sommets en matière d'écriture, je resterai fidèle pour ma part à mon vieux Bic dont j'ai perdu l'embout plastique, et qui répond parfaitement à mes exigences de graffitti et de gribouillages dans les marges de mes cahiers à spirale. A spirale car ça permet d'arracher les feuilles qui ne conviennent pas ni vu ni connu, et de recommencer ! La spirale ou la conjuration du nul en thème !
Voilà six dizaines d'années que je planche sur le sujet sans vraiment en avoir fait le tour. Aucun résultat. Je n'affiche aucun diplôme sur le mur du salon, qui puisse épater les visiteurs, et nulle coupe d'argent ne trône sur le buffet bien ciré. Ma voiture est d'occaze et se contente de rouler, mon chien est bâtard, ma maison est petite et je n'ai pas la clim, la télé est ringarde et la cafetière italienne à cent lieues de Nespresso. Bref, j'ai fait le choix je ne suis pas tradeuse, et je peux me prévaloir d'un acte de résistance : je suis entrée en décroissance ! Depuis longtemps, depuis toujours !
Enfin pour la toute première fois je suis moderne ! je deviens sans le vouloir un exemplaire et un exemple indéniable de femme sauvage et libre, libérée des devoirs de consommation et de la nécessité de paraître.
Digne fille des années à fleurs, je revendique ma hippitude : elle m'aura préparée à l'après crise et je suis ravie.
Comblée par peu et pas grand chose, je me contente de humer le temps qui passe. C'est ma plus grande richesse.
Ma plus sûre réussite. Assise au bord de mer ou sous un platane je profite de la lumière et des couleurs du jour, et m'extasie désormais du moindre reflet doré ou du plus petit frémissement de l'air....Et les gens de loin sont sans danger, je peux les aimer tranquillement, et même les trouver beaux. Les enfants m'enchantent et les vieillards m'émeuvent. Les rares ruisseaux me sont précieux et les roses n'ont plus d'épines.....
Bien sûr que je songe au(x) reste(s) du monde...et que ce n'est pas gai. Sur la route, tant de laissés pour compte....et pas si loin, juste à côté. Je suis tombée au bon endroit, moi, un coup de chance ! Carrément sous un figuier et je n'ai eu qu'à ouvrir la bouche ! Je devrais avoir honte. J'ai honte. Je milite un peu et je poste un chèque de temps à autre. Je donne des paquets de pâtes et de l'huile au Secours du coeur. Je chante avec les Enfoirés à Pâques et à Noël et le tour est joué . Cela aide à dormir en paix....Cela réconcilie avec soi-même. C'est vraiment une bonne action.
Cela convaincra peut-être Saint-Pierre de m'accepter au Paradis ? Mais je sais que je ne serai pas digne . Et cela me gâchera le plaisir. C'est pourquoi j'ai décidé de ne pas attendre du Ciel et de faire ma place au soleil ici, et dès à présent .
Chaque matin, je pousse ma chaise sur la terrasse, et je m'asseois pour regarder se lever le jour. Je ne fais rien. Juste je regarde.....J'écoute pousser les fleurs et les oiseaux chanter. Cela me suffit. Cela me suffit vraiment.
A voir les autres s'ébrouer dans tous les sens et courir aux quatre vents, j'ai l'impression d'avoir mille ans. Et d'avoir lu tous les livres.
J'ai honte. Mais qu'est-ce que c'est bon !
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