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Contre l'oubli... par LedZepFriend

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Je repense à ce couple du Nord de la France qui, alors qu’il enterrait un de ses parents au cimetière, a découvert la tombe de leur fils à quelques pas de là, dans la partie des indigents. Il ne savait pas qu’il était mort quelques semaines plus tôt et personne ne les avait prévenu du décès. Cela paraît incroyable à notre époque où les outils de communication sont tellement présents. Cette histoire m’a alors fait penser, par ricochet, à une autre, plus personnelle, mais tout aussi scandaleuse. Il y a quelques temps, nous avons retrouvé par hasard, dans le grenier, deux photos de mes arrières grands parents maternels. Mon arrière grand-mère regarde l’objectif sans sourire. Juliette est assise et se tient bien droite dans une robe noire impeccable. Elle fait très directrice d’école, elle qui était simple ménagère. Le col fermé est orné d’un médaillon sur lequel figure le visage de son mari. Le sujet est petit mais on le reconnaît bien. Le visage plein montre que la photo a été prise avant la guerre. Celle de mon bisaïeul, Louis Alexis, est très abîmée par le passage du temps et un séjour dans l’humidité. Sur ce portrait, il est habillé dans un costume militaire de la 7ème territoriale juste avant qu’il ne meure le 16 Décembre 1918. Les yeux clairs sont plantés dans un visage émacié, la bouche figée surmontée de la moustache commune de l’époque, la tête tournée au trois quart , le regard dans le vague à fixer quelque chose au loin, en haut à droite. Il a l’air fatigué et malade. A quoi pouvait-il bien penser au moment de la prise de vue: aux conditions de vie dans les tranchées à patauger dans l‘eau ? Aux copains tombés sur les champs de bataille, fauchés par le tir des mitrailleuses ? A l’odeur des cadavres en décomposition ? A l’attente du prochain assaut, la baïonnette au canon ? Ou bien aux vagues successives, aux sifflements ininterrompues des obus explosant autour de son abri précaire ? A sa fin prochaine…se sentant condamné ? On ne le saura jamais. Il était peintre décorateur au théâtre de la ville de Calais. Pas un tueur. Bien sûr comme tous les pauvres diables envoyés sur le front. Verdun. L’enfer. L’artillerie était l’arme principale dans les deux camps. Les hommes de la chair à canon pour tenir les positions. 331 millions d’obus ont atterri sur notre sol (et ce chiffre ne concerne que les tirs Français) durant ces 4 années de conflit qui ont transfiguré l’Europe et marqué la fin de l‘empire colonial. Coïncidence, j’ai fait mon service militaire à Verdun au 3ème régiment d’artillerie de marine. Je connais le bruit d’un canon de 155 et les dégâts que peuvent faire ces projectiles. Et ceux employés lors de la 1ère guerre pouvaient être bien plus gros. Verdun se veut être maintenant la capitale mondiale de la paix. Plusieurs sites sont visitables comme l’ossuaire de Douaumont où 130000 soldats inconnus sont regroupés, Français et Allemands tous confondus. Le monument dont la 1ère pierre a été posé en 1920 par Pétain, domine un cimetière de 15000 tombes. On y apporte encore des ossements trouvés lors de travaux en forêt ou dans les champs. Dans le voisinage de Verdun, le sol des forêts de guerre est couvert de trous (20 millions de projectiles sont tombés rien que pour cette bataille de 1916). La terre et les hommes ont soufferts. Certains endroits sont interdits aux campeurs , pas de piquet de tentes ni de feu à cause du risque d’explosions toujours possibles. Il n’est pas rare de croiser d’énormes entonnoirs de plusieurs mètres de diamètres (visibles également dans certaines pâtures bordant la route allant de Ste Menehould à Verdun) résultats du travail des soldats mineurs qui creusaient des galeries sous les tranchées adverses pour les faire sauter. Comme beaucoup d’autres, vers la fin du conflit, Louis sera gazé par les armes chimiques mises au point par l’autre camp (mais ils étaient utilisées dans les deux, chacun essayant de trouver l‘arme décisive). Le gaz moutarde ou ypérite (du nom de la ville d’Ypres en Belgique où il fût utilisé pour la 1ère fois en juillet 1917) était un gaz qui brûlait les muqueuses, les yeux et s’insinuait dans les poumons, créant des ravages parmi les soldats de l’infanterie même après le retour chez soi, enfin…à l’hôpital militaire de Calais pour lui. Il a eu la « chance » de ne pas finir aveugle. Il aura eu le temps de voir sa fille Georgette, ma grand-mère, né en Novembre et de signer le registre communal, sous l’acte de naissance. Elle ne l’aura jamais connue donc. Je m’étais intéressé il y a quelques années à la généalogie et m’était évertué à retrouver des documents, des traces du passé permettant de mettre un nom dans une case de l’arbre familial: extraits de naissance, de mariage et de décès. Une autre piste est de faire les cimetières. Il est paradoxal de voir qu’une famille est bien implantée dans une commune par le nombre de tombes sur lesquelles figurent son patronyme. C’est le cas pour le mien et Calais. Ma grand-mère m’avait dit que son père était enterré au cimetière de la ville (dixit Juliette) mais qu’elle n’avait jamais pu trouver sa sépulture. Et le fait est que je ne l’avais pas trouvé également, malgré une minutieuse recherche. L’employé communal de la mairie ne trouvait pas les renseignements non plus. « Les registres ont dû brûler ou disparaître dans les bombardements » en a-t-il conclu. Bref, le corps était introuvable. Ce n’est que récemment, à 92 ans, que mon aïeule eut le fin mot de l’histoire alors qu‘elle s’était déplacée à la mairie pour une tout autre raison. Pourquoi a-t-elle reposé la question ? Parce que l’employé était différent ? Toujours est-il que celui-ci se rappela que d’autres registres avaient été placé à un endroit dont lui seul apparemment se souvenait. Elle eut la confirmation que son père était enterré dans ce cimetière. Mais pourquoi plus aucunes traces ? La même personne (décidément tout est question de rencontrer les bonnes personnes dans la vie) lui annonça que par nécessité (gain de place ? Urgence liée à la reconstruction ?) les soldats français tués lors du 2ème conflit mondial avaient été placé par dessus ceux tombés lors de la grande guerre. On avait déterré les premiers corps pour creuser plus profondément, placé les dépouilles dans une fosse commune puis recouvert de chaux vives avant de les recouvrir de terre. Par-dessus ces fondations humaines, les corps de la 2ème vague ont été placé dans des tombes militaires individuelles. La patrie reconnaissante… Je suis retourné voir ce carré du cimetière où se trouvent les tombes militaires des années 40. Pas une plaque ne précise le nom des occupants de la fosse commune. Pendant le 1ère guerre mondiale, 60 millions de soldats ont pris part au conflit, 10 millions de personnes sont mortes et 20 millions sont devenues invalides. L’oubli est une seconde mort. Contre l’oubli, je dédie ce texte à toutes les victimes de la folie des hommes.

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