Cela faisait quelques temps que je n'avais été au théâtre, cela manque dans mon quotidien, j'aime être dans la salle et «sentir» le jeu des acteurs, tout en gardant une petite oreille sur les spectateurs.
Hier soir, 19 heures, le théâtre de l'Atelier, que j'aime toujours, une pièce de Jean-Marie Koltès, dont je vous ai déjà parlé «écrivain contemporain la solitude des champs de coton, magnifique à lire) » , pour l'heure il s'agissait de « la nuit avant les forêts, mise en scène par Patrick Chereau*, en collaboration avec Thierry Thieù Niang (2008 : La Douleur de Marguerite Duras , Théâtre Nanterre-Amandiers , avec Dominique Blanc), avec comme seul et unique acteur Romain Duris, que vous connaissez de par ses rôles au cinéma, parfois excellent, parfois décevant de par le choix des uvres portées à l'écran.
Là Romain Duris, nous donne un aperçu de son formidable talent, dans un rôle difficile à aborder, dont il se sort avec brio, nous faisant transpirer la détresse du personnage, ainsi que le tourment de Koltès. C'est tout simplement un moment de pur bonheur, fait avec une diction magistrale, une émotion à fleur de peau dans une mise en scène qui peut paraître spartiate mais qui en vérité est toute en force, nous sommes autour de l'acteur, nous sommes dan sa détresse, nous sommes l'écho de son cri!! C'est fort, très fort et emprunt d'une puissance scénique extraordinaire.
L'histoire: Un homme tente de retenir par tous les mots quil peut trouver un inconnu quil a abordé au coin dune rue, un soir où il est seul. Il lui parle de son univers. Une banlieue où il pleut, où lon est étranger, où lon ne travaille plus ; un monde nocturne quil traverse, pour fuir, sans se retourner ; il lui parle de tout et de lamour comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, un enfant peut être, silencieux, immobile.(copié)
Le rideau est ouvert, la scène sombre, un lit ,,,, un homme s'agite sous les draps, il apparait se tortille puis le dialogue avec l'inconnu, qu'il est le seul à voir ou à imaginer, c'est cela la barrière entre l'imaginaire et le réel, c'est l'univers de Koltés tout en ombres et en dérives de l'esprit. Pendant l'heure qui va suivre, nous partageons l'histoire de cet homme perdu et de sa rage contre ce qui est et ce qui n'est pas, nous sommes dans son monde, où lui même se perd. Le dialogue commence ainsi :
"Tu tournais le coin de la rue lorsque je tai vu, il pleut, cela ne met pas à son avantage quand il pleut sur les cheveux et les fringues, mais quand même jai osé, et maintenant quon est là, que je ne veux pas me regarder, il faudrait que je me sèche, retourner là en bas me remettre en état les cheveux tout au moins pour ne pas être malade, or je suis descendu tout à lheure, voir sil était possible de se remettre en état, mais en bas sont les cons, qui stationnent : tout le temps de se sécher les cheveux, ils ne bougent pas, ils restent en attroupement, ils guettent dans le dos, et je suis remonté juste le temps de pisser avec mes fringues mouillées, je resterai comme cela, jusquà être dans une chambre : dès quon sera installé quelque part, je menlèverai tout, cest pour cela que je cherche une chambre, car chez moi impossible, je ne peux pas y rentrer pas pour toute la nuit cependant , cest pour cela que toi, lorsque tu tournais, là-bas, le coin de la rue, que je tai vu, jai couru, je pensais : rien de plus facile à trouver quune chambre pour une nuit, une partie de la nuit, si on le veut vraiment, si lon ose demander, malgré les fringues et les cheveux mouillés, malgré la pluie qui ôte les moyens si je me regarde dans une glace mais, même si on ne le veut pas, il est difficile de ne pas se regarder, tant ici il y a de miroirs, dans les cafés, les hôtels, quil faut mettre derrière soi.... »
C'est l'écriture de Koltès, un moment d'égarement dans les limbes d'un psychisme torturé, c'est une découverte pour certains, un plaisir à une belle interprétation pour ceux qui connaissent cet auteur et son univers.
Dépêchez vous, cela s'arrête début mars, il est temps d'y faire un tour.
*( wikipédia : Patrick Chérau metteur en scène largement reconnu en Europe pour son goût de l'innovation esthétique. Son écriture visuelle laisse une place importante au mystère, au fantasmagorique et à l'hyper-expressivité. Elle mêle la sensualité des corps à une dimension archaïque du jeu d'acteurs Héritier comme ses confrères Bernard Sobel, Ariane Mnouchkine, Roger Planchon et Giorgio Strehler de Bertold Brecht (pour la notion de distanciation et d'art engagé) et d'Antonin Artaud (pour l'idée de théâtre de la cruauté), Chéreau a pour certains franchi une étape décisive dans la représentation théâtrale contemporaine et donné une nouvelle signification à l'espace scénique tant par la réflexion artistique qu'il propose que par l'immense succès rencontré par ses créations, Son univers plastique trouve une sphère d'influence assez large : il reconnaît notamment l'expressionnisme allemand et l'uvre d'Orson Welles (qu'il découvrit dans sa jeunesse à la cinémathèque) comme des modèles fondateurs) je ne pouvais mieux vous en parler,
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