Préléminaires supraluminiques par Jules Félix

Entre superluminal libidinal et supraluminique boulimique… Avez-vous entendu hier soir ou ce matin l’information capitale ? Il s’agit d’une nouvelle qui pourrait être soit anodine et sans conséquence soit révolutionnaire au même titre que d’autres découvertes majeures. Je n’aime pas trop le bruit médiatique autour des découvertes scientifiques parce qu’en général, les journalistes n’y connaissent pas grand chose et ne comprennent rien au contenu des dépêches qu’ils ne font que lire. Quand ça parle, par exemple, d’un possible vaccin contre le sida alors que le produit n’a pas encore fait ses dix ans de tests cliniques, on peut comprendre alors l’extrême nuisance (au moins psychologique) qu’une telle information qui suppute peut générer. Là, il s’agit d’une nouvelle qui pourrait remettre en cause une théorie sur la matière, donc, en soi, elle ne risque pas d’entraîner des vagues à l’âme. C’est une équipe lyonnaise dirigée par Dario Autiero (IPNL Lyon) qui est à l’origine de cela. C’est d’ailleurs peut-être parce que ce sont des Français que les médias français se sont jetés sur le bébé comme des malpropres ? Et ces chercheurs se sont amusés à mesurer la vitesse de neutrinos. Les neutrinos, ce sont des particules à masse quasi-nulle (deux millions de fois plus légers que les électrons et quatre milliards de fois plus légers que les protons), qui peuvent traverser la Terre sans qu’on s’en aperçoive. J’avais d’ailleurs inventé un pistolet à neutrinos qui était l’arme idéale pour les pacifistes et les non-violents : il envoie un projectile qui passe à travers le corps et la victime ne le sait que lorsque celui qui a tiré a dit : "Je t’ai tiré dessus ; on dirait que t’es mort !". L’intérêt de ces particules, c’est qu’il n’y a quasiment aucune interaction avec la matière. Toutes les secondes, le soleil nous balance à la figure soixante-cinq milliards de neutrinos par centimètre carré de surface terrestre. Seulement un neutrino est intercepté par un atome de chez nous pour dix mille milliards de neutrinos qui traversent, l’air de rien, notre bonne Terre ; sans prendre le temps de faire du shopping ou du tourisme, c’est dire comme ils sont un peu légers, ces neutrinos. Les chercheurs en question, donc, ont envoyé un faisceau d’inoffensifs neutrinos depuis le CERN à Genève et les ont balancés sous le mont Gran Sasso, en Italie, où un détecteur de particules les a détectées. Cela fait trois ans qu’ils manipent ainsi. Grande surprise, un excès de vitesse : les neutrinos auraient dépassé la vitesse limite au radar et se sont fait prendre avec presque soixante et une nanosecondes d’avance par rapport à la loi. La loi… disons, la théorie de la Relativité restreinte d’Einstein qui prescrit que nul ne peut dépasser la vitesse de la lumière (en droit). C’est juste une question d’équation : il y a dans le radical d’une racine carrée une différence de un avec le carré du rapport de le vitesse sur la vitesse de la lumière dans le vide, si bien qui si la vitesse était supérieure à la vitesse de la lumière, ce rapport serait supérieur à un et la différence deviendrait négative, si bien que le calcul de la racine carrée deviendrait très osée. De plus, cette racine carrée étant dans un dénominateur, il faut aussi que son radical soit non nul, si bien que la vitesse de la lumière dans le vide est non seulement un maximum mais elle ne peut jamais être atteinte, juste approchée. Voir l’expression mathématique ici : http://upload.wikimedia.org/math/f/e/1/fe1f9915b0a030c391a76635634cfcfe.png Certes, avec les nombres complexes, certains ont déjà imaginé les tachyons, des particules qui auraient une masse imaginaire pure pour aller au-delà de la vitesse de la lumière, mais ce ne sont que des représentations abstraites qui ne reposent sur rien de physique, en clair, des élucubrations mentales. Pendant six mois, éberlués, nos physiciens ont recompté leurs billes et les ont fait recompter par d’autres équipes internationales pour être sûrs qu’ils ne se trompaient pas (ils ont une réputation à garder), et malgré toutes les précautions, leurs mesures ont été bel et bien confirmées. Un chercheur du CNRS explique : « C’est si énorme qu’on a la trouille de s’être trompés quelque part » et un autre, spécialiste de la relativité, proclame : « Si c’est vrai, c’est une véritable bombe pour la physique, c’est une découverte comme il en arrive tous les siècles ». Comme il commençait à y avoir des fuites de ces résultats depuis mars, ils ont préféré les rendre publics en soumettant à publication un article d’une vingtaine de pages qui a été publié le 23 septembre 2011 à deux heures du matin. Un séminaire sur ce thème est organisé au CERN de Genève à partir de seize heures ce vendredi. Retransmission du séminaire en direct à ce lien : http://webcast.cern.ch/ Le temps est mesuré à une quinzaine de nanosecondes près, si bien que cet écart de soixante nanosecondes est bien représentatif et pas du tout négligeable (ni explicable à ce jour). Ils avaient mesuré également la distance parcourue sous la terre par le faisceau, qui est de sept cent trente kilomètres et, là aussi, leur appareillage extrêmement précis a pu la déterminer à vingt centimètres près. La durée de traversée est de l’ordre de deux mille quatre cent trente-cinq microsecondes. Mais les quinze mille neutrinos mesurés (en trois ans) ont mis soixante nanosecondes de moins que ce qu’aurait mis un photon dans le vide pour la même distance, ce qui donne une vitesse des neutrinos de 299 799 kilomètres par seconde, soit sept kilomètres par seconde de plus que la vitesse seuil de la lumière dans le vide. Maintenant, il y a nécessité de refaire une manipe du même genre ailleurs pour vérifier et confirmer ces premiers résultats. Une équipe de physiciens américains avait déjà fait des mesures au Fermilab et avait obtenu une avance des neutrinos sur la lumière de l’ordre de cent vingt nanosecondes, mais leurs conditions expérimentales faisaient que cet écart n’était pas significatif car inclus dans leur intervalle d’erreur. Depuis jeudi soir, beaucoup d’experts se sont donc penchés sur le sujet et la plupart cherchent évidemment des moyens de contourner cette violation de l’équation en trouvant d’autres explications. L’un d’eux, patron d’un labo de cosmologie à Paris, avoue cependant : « Mais je reconnais que ça a l’air extrêmement difficile à expliquer autrement qu’en modifiant la relativité ». Dans tous les cas, même si cette vitesse était confirmée, il serait stupide de dire (comme beaucoup de titres de journaux) qu’Einstein aurait eu tort. Parce que sa théorie a été largement confirmée par l’observation depuis 1905 et que la singularité qu’on vient de découvrir ne serait qu’un petit fil décousu d’une théorie plus globalisante que celle d’Einstein. Autrement dit, si tout cela était confirmé, cela voudrait dire qu’Einstein aurait eu autant tort que Newton avec sa gravitation, à savoir qu’ils n’avaient découverts que des cas particuliers d’une théorie encore bien plus large qui ne demande qu’à être pensée dans l’avenir. C’est cela qui est passionnant avec la modernisation des technologies : les physiciens peuvent construire des instruments qui mesure de plus en plus finement la réalité, et grâce à cela, peuvent repérer de petits défauts qui pour nous faire complètement repenser les lois de la Nature. Pour avoir l’information à sa source, plutôt que de lire des dépêches qui n’en disent pas grand chose, je vous recommande de vous plonger dans le seul document qui vaille à ce sujet, l’article scientifique en question : http://arxiv.org/pdf/1109.4897v1 Addendum : Il est connu que les neutrinos courent plus vite que les photons (donc la lumière) dans l’eau, par exemple. Car la lumière est freinée dans certains milieux (hors du vide). Mais jusqu’à maintenant, si les neutrinos allaient plus vite que la lumière, c’est parce que la lumière était un peu lente et les neutrinos ne dépassaient encore jamais la vitesse de la lumière dans le vide. Ce petit phénomène a un joli nom : il s’appelle l’effet Tcherenkov.