Rien ne viendra plus à présent. Les jours se passent toujours de la même façon. Comme le métronome ils se répètent inlassablement mais avec un tempo qui va de plus en plus rapidement decrescendo. Comme le passé a passé vite et comme le futur traine en longueur. Tout désormais semble long et interminable dans sa monotonie et sa lenteur. Le futur n'est plus qu'un passé ressassé devant des oreilles de moins en moins nombreuses, qui n'accordent plus cette écoute qui fait que l'on se sent vivant. Vieillir est-ce renoncer ou ne plus pouvoir ou ne plus vouloir ? Ou alors est-ce se rendre compte qu'on est devenu seul à encore y croire. Et si l'on est seul à encore espérer, vient vite le temps où l'on renonce.
L'espace géographique s'est rétréci. Les amis se font portés disparus. Ils vous préparent là-haut la rangée d'honneur pour vous accueillir... Vous êtes un peu en retard. On vous aura oublié ici bas. Et il vous faut continuer alors que vous vous sentez déserteur. Ce n'est pas que vous soyez seul et isolé. Vos enfants viennent dans la mesure du possible. Vos petits-enfants ont bien grandi et commencent leur vie. Cela vous semble normal qu'ils passent plus de temps à profiter de la vie que de voir des vieux. Voilà c'est dit, vieux vous êtes devenu, vieux c'est comme cela que l'on vous définit...
La belle imposture ! Dans votre tête vous avez toujours 20 ans mais vous êtes seul maintenant à le savoir et il y a bien longtemps que le verbe pouvoir ne fait plus partie de votre vocabulaire. Vous vous dites qu'il vaudrait mieux partir quand on est encore heureux. Le présent ne vous gratifie plus que de souvenirs d'un passé dont ne subsiste plus aucun témoin. Vieillir est une belle saloperie et le pire est encore à venir.
Rien ne vous garantit que vous partirez rapidement. Vous n'échapperez peut être pas à l'irrémédiable dégradation physique et, ou psychique de votre intégrité. Vous aimeriez avant toute perte croissante d'autonomie quitter ce monde mais se laisser mourir n'y garantit pas... Alors vous vous trainez, de plus en plus vous discutez avec les disparus. Ils appellent cela la sénilité... Car ils ne savent pas, ils comprendront uniquement quand ca sera leur tour, quand il sera trop tard. Vous vous mourrez chez les vivants peu à peu et ca prend plus de temps que vous ne l'auriez voulu.
Vous n'attendez plus rien, alors vous quadrillez votre semblant de vie de repères quadrillés. Réveil aux aurores. Déjeuner à envisager, préparer, manger même si vous vous forcez de plus en plus. Puis, un semblant de toilettes assez vite, il convient de ne pas prendre de retard pour les courses. Vous en prévoyez un peu chaque jour pour qu'il vous reste encore des missions offrant un semblant de vie sociétale. Au retour rangement des courses et puis un peu de repos en écoutant la radio. Pas trop car il vous faut après préparer le repas... Vos journées sont minutées à l'obsession pour maintenir un temps encore l'illusion de compter dans ce temps qui s'enfuit.
Aujourd'hui n'est qu'une pale copie d'hier et demain démontrera qu'il est encore possible de diminuer encore et encore votre autonomie. La balance sans surprise penche inexorablement du côté de la dépendance. Viendra le temps où l'on vous parlera comme un enfant en criant trop fort. Non vous n'êtes pas sourd et il vous semble bien encore pouvoir maîtriser votre pensée à défaut de votre corps. Mais vous les laisserez peut être faire, vous n'aurez peut être plus envie de vous battre, juste envie de partir avant qu'il ne soit trop tard...
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