Ce matin je parle aux oiseaux.
A ces deux-là, boules de plumes noires, chaudes et animales, fichés immobiles mais vibratiles au sommet de l'arbre demi dévétu, tous deux parfaitement à découvert.
Les nuages blancs coulissent rapides sur le bleu du ciel. Les ouates floconneuses poursuivent les filaments tissés serrés.
A genoux sur le rebord de la fenêtre comme à la messe matinale du jardin ouvert sur la ville, je parle aux oiseaux.
La chatte s'est allongée cette nuit sur ma poitrine, me consolant d'un chagrin qu'elle seule connait.
Enfants, parents, père, mère, soeurs, vivants et morts, deuils et recueillement.
Proches de coeur, proches de tendresse et d'attentions, ils sont là dans le silence des mots que je n'ai pas dit, pas su dire, pas pu dire.
Aussi ce matin je parle aux oiseaux.
Condition humaine, injustices de nos sociétés humaines, terreurs et misères de nos vies trop humaines.
Un pigeon surgit de l'invisible, part en piqué dans une boucle qui m'effleure.
Tout piaille de vie au coeur de la vie.
La chatte allonge sa cuisse au soleil et lape son ventre de plumes blanches.
Mélancolie, harmonie, pensées et prières.
Tendresse, regrets, soupirs et pleurs contenus.
Ce matin je parle aux oiseaux de nos vies.
A ces deux-là qui ne craignent pas mon regard.
A cette évidente simplicité d'être au monde.
Du linge de lit se rafraichit à une fenêtre lointaine.
Une chemise blanche accrochée à la fenêtre d'en face habillera l'homme nu.
Des bleus de travail séchent pendus tête en bas.
La vie, la vie humaine. Le courage toujours.
Peine, travail et courage de tous les jours.
Fenêtres parmi toutes les fenêtres.
Vies parmi toutes les vies.
J'ai toujours interrogé le ciel, espéré connaître les vies derrière les fenêtres, les vies d'en face, les vies d'ailleurs.
Sous ce ciel des villes, sous le ciel des plaines, j'aimerais être partout. Ici et Ailleurs.
Sous les ciels brûlants des affamés d'Afrique qui meurent sans soins.
Sous les ciels des sans logis qui dorment sur des cartons.
Où dorment les oiseaux?
Pourquoi mon sourire ne rejoint-il pas le tien?
Pourquoi mes forces n'ont-elles pas changé le monde?
Pourquoi mes mots n'ont-ils jamais rien réparé?
Pourquoi ai-je de la peine pour les vieillards courbés?
Ce matin je parle aux oiseaux et à tous ceux que j'ai aimé.
Comme si ma tendresse se mélait aux nuages, aux volées d'oiseaux.
Comme si tout allait finalement se rejoindre et nous unir à jamais.
Crissements métalliques de scie, vrombissements de marteau-piqueur
Le chantier d'un hotel à venir s'éveille.
Mes deux oiseaux familiers s'envolent d'un trait.
Je reste toute bête, agenouillée à le fenêtre.
J'ai encore quelque chose à dire aux oiseaux.
Mon enfance tantôt réveuse, tantôt indignée ne m'a jamais quittée.
Mais où vont tous les oiseaux pendant que je reste ici?
Mystère et condition humaine.
Moi, je vais aller danser entre les allées, les rayons du supermarché.
Croiser des vieillards courbés. Comparer des étiquettes de composition de moulinés de légumes.
Aligner des chiffres dans les cases des chèques.
Dire "Pardon", "Bonjour", "Merci et bonne journée".
Sourire et m'interroger sur ces vies que je ne fais que croiser.
Mais comment vivent les oiseaux?
J'ai encore à leur parler.
V.V
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