Au loin, une frêle fenêtre allumée, isolée dans l'immensité montagneuse, entourée d'un nappage de brouillard grisonnant.
Le silence est absolu, seul le son persistant des étoiles dans le ciel nous enveloppe, accompagné du craquement de nos pas sur le sol terreux.
Nous marchons sans un mot, occupés à nous frayer un chemin dans la pénombre.
Sans l'énoncer, nous nous dirigeons vers cette minuscule fenêtre encore haute au-dessus de nous.
A la traversée d'une forêt, nos respirations se font plus irrégulières : pensons-nous, tous deux, qu'au sortir de ces ombrages, la lumière sera évanouie et tout obscurcit alentour ?
Mais non, elle est toujours là.
Nous entamons la montée abrupte, entourés de hêtres embusqués.
Pour revenir dans un sillage frayé par des sangliers, il nous faut enjamber un cours d'eau claire et fraîche dévalant du haut des montagnes.
Ta main, ma main, un bras autour de la taille, un baiser dans le cou, ça y est, nous y sommes.
Nous pouvons poursuivre l'ascension.
Vu de là, le lampion jaunâtre que nous rejoignons, est surplombé de l'étoile de Gengis Khan, celle que l'on voit certaines nuits, accolée à la dernière étoile du manche du Chariot...Les personnes qui voient cette étoile, peuvent rejoindre l'armée de Gengis Khan...Souvent, nous y pensons, cette seule pensée et le bonheur enfantin de voir cette étoile, produit cette joie d'avoir la permission, d'être dignes de le rejoindre, s'il suffit de cela...
Nous approchons de la fenêtre, une minuscule maison silencieuse entourée de vide, au sommet d'un mont.
Nous frappons à la porte, un « Entrez » virulent et jovial, nous répond comme le salut du roi d'un immense royaume. Brusquement, la sensation que nous allons nous tenir face au maître impérial des Alpes, nous traverse l'esprit.
La porte s'ouvre avec fracas telle un pont-levis, un homme ébouriffé, grand et rougeaud, nous sourit de ses plus belles dents. « Entrez, entrez bonnes gens ! » claironne t-il à une assemblée de bal que nous ne voyons pas.
La pièce unique est peuplée d'une table, d'un lit et d'une cheminée, tous envahis d'objets disparates : des papiers, des cahiers, des livres, des guitares, des mégots, des casseroles, des bonnets, des cadres vides et des stylos, des stylos partout, même dans les bûches, près du foyer.
Eberlués par tant de fracas subit, après nos longs silences partagés, nous avançons dans ce fourbis, toujours accompagnés par les appels seigneuriaux de notre hôte qui pose deux verres sur la table, nous invite à nous rapprocher du feu, nous mettre à l'aise, ôter nos chaussures et nos gants.
Il annonce que notre venue est des plus enthousiasmante car justement il avait besoin d'exposer à des confrères, un grand projet qu'il était, justement, sur le point de finaliser.
Nous nous asseyons timidement sur les bûches et les stylos, à proximité des flammes, et nous empoignons, sans sourciller, les verres de vin chaud qu'il nous tend.
Je pense subitement à Gengis Khan... comment se fait-il que je ne me souvienne de rien de cet homme illustre...peut-être celui qui se trouve en face de moi, est-il un descendant ? Et véritablement nous aurions rejoint son armée
.?
L'homme agité d'une humeur bonhomme laisse libre cours à sa cascade rhétorique...une immense maison va être construite au-dessus de la sienne. La sienne est robuste, elle semble minuscule mais c'est la seule ayant pignon sur rue dans ses environs, sans jeu de mot, il parle de pignon sur rue... un pignon capable d'embraser les vallées et les monts, capable de supporter, haut la main, le poids d'un immense paquebot.... Et ce château s'appuyant sur la cime du toit, sera pourvue d'une trappe donnant directement dans la sienne. Il aura ses appartements dans ce grand projet, il ira et viendra car même avec pignon sur rue, il commençait à être à l'étroit en haut de ce mont, seul, sans pouvoir exposer ses projets grandiloquents, raconter ses victoires et tout ce travail si honnête, si essentiel pour l'ensemble de ses confrères. En dévoilant tout cela, il nous sert à nouveau en vin chaud, allume une bougie sur la table en jetant l'allumette au milieu des stylos.
Nous continuons à opiner de la tête, entre reconnaissance d'un lieu chaud pour la nuit et tentative désespérée de suivre le flot de ses amicales et généreuses salutations.
Brusquement, il s'interrompt et nous interroge : vous êtes des architectes ? Des conseillers ? Savez-vous décorer des trappes ?
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L'un de nous répond par l'affirmative : oui, nous savons décorer des trappes, nous pouvons même inventer des mécanismes capables de les faire s'ouvrir en un coup de castagnette...
Nous pouvons les faire parler et réagir aux idées ambiantes...
Elles pourraient tout aussi bien en se fermant, allumer la cheminée, ou bien transporter la lueur des flammes dans l'immense future maison...
Alors voilà que dans la seconde, l'hôte déjà imposant semble grossir telle une mongolfière dans un étui à lunettes. Nos joues, interloquées, rougissent à vue d'oeil, nos yeux scintillent comme l'étoile de Gengis Khan quand la nuit est exceptionnelle.
Il s'enflamme, parle du bonheur qu'il n'osait espérer, tant de richesse de l'existence réunies ce-soir au sommet de son royaume. Tandis que la cascade de mots tonitruants donne libre cours à son avalanche, nos yeux, presque simultanément s'agrippent aux murs de la pièce. Dans le grand désordre de la pièce, nous n'avions pas soupçonnés, ces minuscules étagères, compartimentées, courant le long des murs, sur lesquelles s'agitaient, chacun dans leur case, de petits êtres fourbus. Tous étaient accaparés par une tâche, mais le plus étonnant était qu'ils semblaient tous être des comédiens interprétant un monologue. Si bien que lorsqu'on embrassait d'un seul regard la totalité du mur, le spectacle résidait dans cette multitude agitée de solitudes complaisantes qui tenait absolument à jouer dans le même orchestre dont le chef était notre roi des Alpes.
La nuit réparatrice dont nous avions besoin, fut agitée de ces bruissements continus, au matin, nous quittions cette terre hospitalière, avec la sensation d'avoir été engloutis dans un immense brouillon.
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