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Narcisse au pays des miroirs par Zetino

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Ce matin, je finissais de me raser quand je surpris ce reflet légèrement embué m'observer avec insistance. Je ne parvenais pas à détacher mon regard de cette lumière intense que dégageaient ces yeux sombres. Quelques clignements de cils, éclairs déchirant un ciel lourd de passions, et ce fut le coup de foudre. Je devais agir d'urgence. Pour mon bien. Pour mon équilibre. Je ne pouvais restreindre plus longtemps mon espace vital à cette salle de bains où se trouvait l'unique miroir de mon appartement. Alors j'eu l'idée d'en installer dans toutes les pièces, de formes variées, de tailles diverses. Ceci eut pour conséquence de prolonger mes séjours dans des endroits qui jadis étaient dépourvus de tout jaillissement amoureux. Ainsi, me lavant avec soin, je vivais empreint d'une meilleure hygiène. Mes repas se déroulaient dans une parfaite sérénité et bientôt j'obtins une vive régulation de mon transit intestinal. Les toilettes étaient devenues un réel lieu d'aisance où désormais je prenais le temps d'évacuer sans discrimination aucune le solide comme le liquide. Le soir plutôt que de m'abrutir devant mon poste de télévision, je lisais des poèmes à ce reflet attentif qui, patient, ne me coupait jamais la parole et savait même apprécier les bons passages - qu'il soulignait d'un sourire complice. Les jours coulaient, limpides. J'étais heureux et me le rendais bien. Si parfois un baiser glacé venait troubler la pureté de cette relation, notre amour n'en restait pas moins platonique. J'aimais à être chez moi et ne sortais plus que dans le seul but de m'approvisionner. Hélas, ce bonheur se désagrégea rapidement. Cet état casanier m'empêchait de fréquenter mes amis. J'évitais de les recevoir afin de préserver mon intimité et, peu à peu, les perdis définitivement. Je finis par ne plus quitter du tout mon appartement. Je craignais de céder à la jalousie s'il m'arrivait par malheur d'apercevoir mon reflet sur une vitrine, une vitre de voiture ou bien un miroir public. Je souffrais à la pensée de voir mon image ainsi offerte à tous ces inconnus : savoir que certains pouvaient la croiser sans y prêter attention me révoltait et je maudissais ce manque de goût. Imaginer que d'autres fussent capables de s'y attarder enflammait ma jalousie. En restant ainsi cloîtré chez moi j'annihilais d'éventuelles pulsions criminelles. Peu à peu, la passion que je nourrissais me dévorait. Je devenais canibale. Mon comportement se déréglait insidieusement. Je passais des nuits blanches à m'espionner, tentant d'éloigner un sommeil au cours duquel il m'arrivait de rêver à quelqu'un d'autre que moi. Ces rêves, souvent érotiques, trahissaient un désir d'infidélité inconscient. Cela me coupa l'appétit. Je me mis à boire, devins brutal et pris l'habitude de me faire des scènes fréquentes et de plus en plus violentes pour un rien. Ces violences répétées me rendirent couard. Je décidais de vivre dans l'obscurité afin d'éviter les disputes. Ainsi, j'évitais toute rencontre avec un reflet que je devinais patibulaire, sale, barbu. J'errais dans ce sinistre et sombre appartement avec mon sexe en érection pour unique canne blanche. J'essayais de m'oublier. Une nuit, j'eus l'idée de rechercher des plaisirs ailleurs que dans le souvenir idéal d'une image désormais déchue, laide, repoussante. Ainsi, m'armant de courage, je renouais avec mes anciennes activités nocturnes. Je sortais me soûler dans les bars et ramenais des filles à la maison. Mais une fois chez moi, je me retrouvais avec une foule de moi-mêmes, me croisais à chaque pas et n'avais plus aucune intimité. Infailliblement, c'était de nouveau la dispute. Les filles me prenaient pour un fou et s'enfuyaient effrayées. Pendant un certain temps, je tentais de vivre incognito. J'adoptais des déguisements appropriés aux diverses pièces. Mais l'effort était considérable et se révélait inutile : je finissais toujours par me reconnaître. Un soir, plus soûl que d'ordinaire, je supprimais tous les miroirs qui infestaient mon appartement. Et décidais de ne plus me parler. Ce fut terrible ! Une non-existence permanente. Criblé de doutes, je m'efforçais de penser. Mais je n'étais jamais sûr d'être là, jamais certain de mes actes. En détruisant ce reflet qui témoignait de mon existence, j'avais signé mon arrêt de mort. Que faire ? M'écrire ? Me téléphonner ? J'étais perdu… Alors, dans un ultime élan instinctuel, j'engageais un détective pour retrouver ma personne.

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