Tu es un train qui regarde les vaches le regarder mais qui ne peut pas s'arrêter.
Des envies féroces de freiner la course folle, de tailler une bavettes avec toutes ces inconnues aux grands yeux interrogateurs.
Et tout en fonçant, ces petites idées fulgurantes qui chuchotent : mais pourquoi cours tu ? n'est ce pas quelque peu inutile ? futile ?... ce que tu fais ne contribue à rien, c'est très "arte"... même pas "arte"...
(...le correcteur d'orthographe, à qui tu ne demandes rien, corrige systématiquement arte par rate... manque l'accent très cher, mais ce correcteur aurait-il une conscience ?...)
Dans la course, tu essaies de faire taire ces petites pensées qui viennent se cogner contre ta carcasse en décrétant très artificiellement "fichez moi la paix !, je ne peux pas courir et penser, en tous cas pas à ça".
Autrement tu vas freiner et ne pas tenir les délais.
Toutefois, tu vois le panneau d'arrivée, là, à quelques centaines de mètres devant toi, et malgré toi, tu freines un peu tout de même. Parce que tu es fatigué et parce qu'il va bien falloir s'arrêter en gare.
Mais sur le panneau d'aiguillage, il n'y a pas de destination suivante. Cela arrive souvent mais on ne s'y habitue jamais.
Et les vaches, avec qui tu aurais pu discuter sur la route, ne seront pas en gare, elles non plus. Laissées derrière.
Alors peu à peu, d'autres idées bien réelles prennent le dessus et envahissent les engrenages, rouages, de petits grains de sable qui viennent se coller à toi, des nouvelles inquiétantes du parrain aimé, des contre-temps dans les courses à terminer, des appels répétés restés sans réponse, des disparitions, des histoires terminés...
Tu vas retrouver tout ça en gare. Avec l'impression de pouvoir résoudre les problèmes puisque le temps sera de nouveau là, mais est ce que tu ne vas pas plutôt recroqueviller les wagons les uns dans les autres et engloutir la locomotive...
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