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Cherche MPI multi temps (conte du Nouvel An) par Tcherenkov

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Creux Machard est un village bressan qui se trouve sur la grande route qui va à Pleure. Ça ne vous évoquera sans doute pas grand chose et on s’en fout un peu. Disons que pour une fois qu’il se passe quelque chose à Creux Machard et pas à Paris, on va en profiter à donf. Pio était un homme grand, élancé et tout en muscle, qui portait une fine et très longue queue dont il se servait essentiellement durant la période des fêtes de fin d’année. Dès la Noël il allait rendre ses hommages aux solitaires à dentelles, qui n’avaient rien d’adamantin, mais bien ourlées de chair, de formes et de réalité. Les hommages duraient toute la semaine, et lorsque le calendrier basculait dans la nouvelle année, Pio rentrait sagement sa queue dans son étui et n’y revenait plus de l’année. La veille de Noël il fit un rêve. Il gravissait une à une les marches d’un escalier dont il ne voyait pas la fin. Elles étaient couvertes de fleurs, de mousse et de glands. Deux cent marches au bout desquelles l'attendait un panneau publicitaire géant où flottaient, entre deux bulles jaune orange année 60, un message qui laissa Pio pour le moins dubitatif : « Vous venez d’entrer au pays des Chroniques Litrophes. Buvez Pepsi, la vie est belle ». Genre un rêve de couillon. Le lendemain, or donc commença la période des hommages. Pio s’est fait beau. Il fait traîner un Oh de plaisir sous la langue en se regardant dans la glace, car personne n’ignore que le O bressan est paresseux. A Creux Machard, même si personne ne connaît, il y a des gens qui font l’amour, et plus encore en ces périodes de fêtes où les résidents secondaires sont en pleine forme, dont d’exquises solitudes en vadrouille. Commencent les visites. Yeyette est arrivée la veille, elle vient de la banlieue parisienne, a hérité à Creux machard d’une fermette et d’un bout de jardin, et vient régulièrement y rosir ses joues et jouer avec la queue de Pio. Pio aime beaucoup Yeyette. Il la trouve vive, drôle, jolie, un peu bavarde, mais il sait aussi comment la faire taire. Yeyette est particulièrement joyeuse et virevoltante, et lorsque Pio lui demande la raison de ce bonheur un peu gazouillant, Yeyette lui répond : « je pars en voyage au pays des Chroniques Litrophes, tu te rends comptes Pio, c’est mon premier vrai voyage » Pio suit Yeyette dans sa chambre, une chambre qui ressemble à un bonbon, où tout est rose, des rideaux à la moquette, en passant par la vierge marie sur son socle, sagement extasiée sur une table de nuit, et portant un wonderbra rose fushia que Yeyette a agrémenté de deux petits clignotants qui lui donnent un air de vierge taquine. Bref, tout y est outrancier, sucré, Yeyette appelle ça son boudoir, et Pio aime à s’y faire caméléon. - Tu es mon bonbon, mon calisson, mon polisson, lui susurre Yeyette en lui mordillant le lobe qu’il a sensible. Après l’amour, Pio parle de son rêve à Yeyette. Il lui dit « j’ai rêvé de ce pays où tu vas, les Chroniques Litrophes, j’ai cru que j’avais inventé un pays qui n’existait pas » Alors Yeyette se lève et revient avec une revue qu’elle ouvre en son centre, car ça ne peut être qu’au milieu de tout, et Pio se met à lire à voix haute l’article qui commence ainsi : « Les Chroniques Litrophes, territoire encore peu connu, représentent une surface encore indéterminée, autour desquelles il est fort probable qu’aucune frontière ne sera jamais clairement installée. Seuls les chercheurs sont pour l’instant autorisés à y faire de brefs séjours. Est répertorié comme chercheur toute personne possédant un MPI multi temps (Moteur à Propulsion Imaginaire), lui permettant d’accéder à la région sans utiliser les transports en commun. Le chercheur n’est pas un touriste. Il a une obligation de production. Il n’y va pas pour laisser des papiers gras et des peaux de saucisson. Il y va pour dessiner des univers fantasmagoriques, y installer des yourtes, ou n’importe quoi d’autre ne comportant ni mur, ni haie, ni clôture. Il n’y va pas pour se mesurer aux autres, mais pour prendre sa juste mesure (les mètres, décamètres et autre objet de mesure ne sont pas fournis) qui, dès lors qu’elle est juste, est la meilleure qui soit. Il n’y a aucun règlement intérieur explicitement affiché ou distribué à l’entrée. Les chercheurs ne respectant pas les règles dictées par leur imagination disparaissent tout simplement du territoire, et sont aussitôt réinstallés dans un ordinaire qu’ils n’auraient jamais du quitter » Et l’article se terminait ainsi : « Bienvenue au pays des Chroniques Litrophes. Buvez Pepsi, la vie est belle » Pio, qui avait ses hommages à rendre, se demandait pourquoi il avait fait ce rêve. Sa vie à Creux Machard était suffisamment originale pour se passer de voyage en terre inconnue. Pour Yeyette, il comprenait mieux. Il n’y avait qu’à voir sa bonbonnière pour savoir qu’elle possédait un MPI dans son garage, restait à savoir s’il était à multi temps, Pio n’en aurait pas mis sa main à couper. Les hommages rendus à plusieurs reprises, Pio quitta Yeyette rempli d’allégresse, avec la conscience d’avoir accompli généreusement sa mission, et lui souhaita bonne chance au pays des Chroniques Litrophes. Puis s’en alla poursuivre ses hommages ailleurs, ce qu’il fit simplement et sans trop de bavardages. La veille du nouvel an, soit le 31 décembre 2011, alors qu'il poussait la porte d'une dernière solitaire, il se trouva pris de dépourvu en voyant, dévalant à l’infini, l’escalier qu’il avait pris dans son rêve une semaine auparavant et qu’il fut bien forcé de prendre, marche après marche, piétinant des fleurs, des mousses et des glands en papier crépon. Arrivé en bas des escaliers, il poussa une nouvelle porte qui donnait directement chez sa mère. Elle vint aussitôt l'embrasser et lui demanda s’il avait rencontré une femme capable de le déniaiser, comme elle s'appliquait chaque année à lui demander depuis qu'il était en âge d'avoir une femme. Pio comprit qu'il sortait d'un rêve, mais s'enferma néanmoins ensuite dans son garage tout le reste de l’hiver, fabriqua un MPI multi temps et écrivit à la revue, en espérant qu’un jour on l’accepterait comme chercheur. De temps en temps, il monte au dessus du clocher et regarde la voiture du facteur arriver par la route de Pleure. Le reste du temps, il s'occupe de son élevage de porcs. Et la vie va bien comme ça, allez.

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