(trouvant qu'ici c'est c'est de plus en plus politique et parfois un rien stérile, je remets ce vieux machin qui date ) :
Une Plage
Pas immense. Peut-être cent mètres de long. Environ cent mètres aussi la distance entre le pied de la falaise et le bord de leau lorsque, par gros coefficient de marée, la mer se retire très loin.
Du sable sec, lorsque la mer remonte très haut, il nen reste pas beaucoup. Une frange de quelques mètres. On voit les gens progressivement reculer au fur et à mesure de la montée des flots. Rétrécissement de lespace. Les serviettes se rapprochent les unes des autres. Les parasols aussi. On commence à se sentir un peu à létroit.
Pas tant que ça, dans le fond. Cest une plage un peu planquée, invisible de la route. Une plage où lon nest jamais serré. Ou alors, lorsque cela arrive, cest parce que les vagues montent très haut. Avec la pelle, il faut construire des remparts de sable. Des remparts qui atteignent rarement plus dun mètre de haut. Ils nont pas le temps. Ils sécroulent. Il faut recommencer.
Cest le Sud Bretagne. Cest la rive nord de lestuaire de la Loire. La bouche est tellement large à cet endroit que dune pointe à lautre elle doit faire dans les vingt kilomètres. Au loin un phare qui sappelle le Grand Charpentier. Sur la droite, le sémaphore de Chémoulin. Droit devant à environ cinquante kilomètres, Noirmoutier quon devine, par très beau temps. Juste un centimètre au dessus de l'eau. Un simple trait.
Une plage dhabitués. Des familles qui viennent là en vacances depuis longtemps, certaines depuis dix ans, certaines depuis le double. Des visages connus mais pas collants. Entre le milieu et la fin des années 70. Des parisiens, de gens du nord, et mes copains de Manosque les Bouillot qui passent tout lété chez leur grand-mère bretonne.
La sieste en plein soleil, parce que jai nagé jusqu'à l'écoeurement. Entre le bruit des vagues qui viennent mourir sur le bord, les conversations. Elles ne sont pas gênantes, ici. Et les jours de vent, le sable non plus nest pas embêtant parce que cest une plage un peu encaissée, protégée par la falaise. Ce sont surtout les dames quon entend parler. De tout et de rien.
- Le jeune homme qui fait de la pêche sous-marine, il nest pas là aujourdhui ?
- On dirait que non. En tout cas on ne voit pas son zodiac.
- Et bien, cest dommage. Ce beau poisson quil rapporte. On peut être sûr quil est frais.
- Comme vous dîtes. Et pas besoin de vérifier. Du poisson qui sort de leau. Moi je lui en ai pris hier. Il était un peu surpris parce quil pêche pour son plaisir, pas pour vendre. Deux bars. Je les ai faits au four, avec des champignons un régal.
- Il viendra aujourdhui, vous croyez ?
- Ca, on ne peut pas savoir. Il va là où le courant est bon, et ce nest pas forcément le même endroit deux jours de suite. on ne peut jamais savoir.
- Malgré toutes ces histoires quelle fait, on est obligé de dire quelle est belle.
- Je suis daccord avec vous. Tenez, je serais bien incapable de dire si elle est toujours avec Richard Burton.
- Il y a un film avec elle cette semaine à la télévision ?
- Oui, cest pour ça quelle est en couverture de télé 7 jours. Cléopâtre.
- Un beau film, je lai vu. Mais, dîtes donc, elle a une cicatrice sur la gorge ? Je navais encore jamais remarqué.
- La typhoïde. Jai lu ça quelque part.
- La typhoïde ? Les actrices, il leur arrive toujours quelque chose. Elles doivent faire ça pour leur publicité. Je préfère Grace Kelly. Elle est plus distinguée.
- Et bien il y aussi un film avec elle. Mardi, je crois. Celui avec Cary Grant. Voilà : La Main au Collet.
- Celui-là, jai beau faire, je le confonds toujours avec Gary Cooper. Mais je les aime bien tous les deux, alors ce nest pas bien grave.
- Cest Match, que vous lisez ?
- Oui. La Caroline de Monaco commence à faire parler delle. Elle fréquente.
- A propos, le grand garçon qui dort là-bas, avec le maillot de bain bleu foncé, cest le petit Brian ?
- Oui. Un vrai jeune homme maintenant. Dire quon la connu tout petit.
- En quelle classe il peut être, à présent ? En troisième ? Et quelle jolie couleur de bronzage.
- Cest facile, quand on a la plage en bas de chez soi. Ici, ils se baignent dès le mois de mai. Pensez si ça leur fait de lavance. Chaque année quand jarrive cest pareil : je suis blanche blanche blanche et lui, déjà tout cuivré. Oui, en troisième je pense.
- Il a déjà une connaissance, sûrement.
- Oui, sûrement.
- En tout cas, cette année, il fait une chaleur terrible. Ils disent que ça va être la canicule.
- Tu las trouvée bonne, leau, chéri ?
- Parfaite. Juste un peu fraîche. Tu regardes quoi, derrière tes lunettes de soleil ?
- Les gens. Je regarde les gens et je trouve quil y en a moins que les autres années.
- Cest la crise, que veux-tu. Un mois de location, ça devient de plus en plus difficile. Tiens, nous, sil ny avait pas la maison de ta mère, je ne sais pas si on pourrait.
- Alors ma mère, finalement, elle na donc pas que des défauts.
- Tu crois que cest utile de remettre ça sur le tapis ? Et ça va te servir à quoi, ce tartinage ? Tu ne trouves pas que tu fais déjà assez sardine à lhuile comme ça ?
- Cest mon droit, je te ferais remarquer. Ma crème solaire et moi, on te dit zut. Et dailleurs pousse-toi un peu. Tu me caches le soleil.
- Ca ne changera pas grand-chose. Tu repartiras comme tu es arrivée. Blanche. Et là, je trouve que tu es
luisante.
Dix huit heures. Avant de rentrer je sais que jai encore le temps de nager longuement. Je sais aussi que vais bien dormir. Mendormir en une seconde. Demain matin, comme les autres jours, je viendrai faire ici ma première promenade vers huit heures. Pour saluer la mer. Regarder de quelle couleur elle est. Comme tous les matins en cette saison elle sera couverte de goélands. Je descendrai le grand escalier aussi doucement que je peux. Mais rien ny fera. En mapercevant, ils senvoleront en une seule fois, dune façon synchronisée, laissant le sable incrusté des empreintes de leur pattes, qui forment une pluie de milliers détoiles.
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