- Faneuse, tu nous emmerdes, tu vas arrêter de nous les étouffer et tu vas te calmer, parce que là ce nest vraiment plus possible»
Lambiance du repas a été plombée toute la soirée avec ce problème vivant quon surnomme Faneuse.
Nous sommes cinq associés sur le projet, dont deux hommes.
Ça marche du feu de Dieu.
Je passe sur les détails du projet tel quil a été mené, parce que le budget prévisionnel, les marges et tout ça, cest comme de savoir où se situe Creux Machard, nonobstant limportance du détail, il faut satteler à le semer là où cest nécessaire.
La bâtisse est large, coquette, ouverte. Pierres sèches, herbes folles, vergers, cascade de terrasses couvertes doliviers, belles montagnes bien herbues en fond dimage, une petite route gentille menant à une autre plus efficace, puisquelle sen va cueillir nos hôtes à la sortie de la gare TGV.
Une petite dizaine de chambres confortables, chaleureuses, une cuisine bruissant de mélodies bouillonneuses, mijotantes, rythmées par le bruit du pilon en bois dolivier, fragrances des écrasements, des décoctions, odeur du chocolat fondant sur le feu, quelques femmes saffairant à de nobles activités, élevage de petits gibiers, de lapins, confection de confitures, et puis de temps en temps, des conférences bien savantes pour les plus intellectuelles, un salon de musique pour une qui pratique la harpe, et dautres activités du même ordre.
Nous sommes à nouveau au cur des chroniques litrophes, dans un de ses nombreux royaumes.
Notre fonction principale consiste à accueillir des hommes mariés et leur donner du plaisir.
Au départ, cétait ouvert à un plus large public, mais Faneuse a commencé à emmerder les hommes seuls, à les poursuivre, les harceler, parce quelle ne supportait pas quon loublie après lui avoir dit quelle portait une des plus jolies fouffes de la région.
Un jour, on a reçu un mail acerbe dun de nos clients : « elle est vraiment fanante votre Marie-Renée, gentille mais fanante »
Ça nous a bien rire ce mot, fanante, cétait assez bien vu pour décrire Marie-Renée, qui sattelle avec talent à faire faner les hommes.
« Tu comprends, Marie-Renée, les hommes qui arrivent ici sont comme les nuages, ou comme les brises, les brumes, les pollen, enfin tout ce qui circule et quon ne peut pas arrêter» lui a-t-on expliqué pour la millième fois hier soir.
«Donc tu les laisses circuler et tu arrêtes de crever les pneus de leurs voitures pour pas quils repartent, sinon tu vas tous nous faire couler ».
Après ce mail, on a décidé de naccueillir que des hommes mariés.
Nous navons aucun problème avec les hommes mariés. Cest même une bonne alternative. Ils ont une certaine somme de problèmes à régler chez eux et la délicatesse de les oublier lorsquils sont en notre compagnie.
La plupart arrivent ici en voiture. Certains en TGV. Nous allons les chercher à la gare et ils sont heureux de nous enlacer sur le parking.
Ceux qui reviennent régulièrement, plus encore ; cest un univers qui leur devient familier, sans que jamais ils ny laissent traîner la moindre brosse à dent, encore moins leurs pantoufles.
Ils nous laissent des odeurs, des mots doux, leur calme revenu, et de largent pour les chambres et pour le repas, ce qui est normal.
Lan dernier, nous avons eu à faire à quelques fielleux journalistes qui ny ont pas été de main morte, dénonçant un lieu de débauche, qui, sous couvert dun accueil chaleureux et de grande qualité, « pratique une forme de prostitution clandestine ».
« Un recel dobsédés sexuels », pouvait-on lire en guise de titre dans un autre canard
« le tourisme vert et les parties de campagne » (plus fin mais tout aussi mal compris).
Nous aimons les bonnes choses, les bons vins, la chair tendre de la viande juteuse attendrie au four, les beaux livres, les mots qui ont du goût, les fruits sur les vergers, les baies de prunelles sauvages, et nous aimons aussi faire lamour avec légèreté, sans nous départir dune certaine gravité car jouir nest pas chose légère.
La profondeur et la grâce, lattention au monde présent, voilà peut être ce que nous vendons le mieux, et ça marche.
Marie-Renée devient de plus en plus pénible. Elle a commencé avec les pneus des voitures et menace maintenant décrire aux épouses de nos clients.
Je ne sais vraiment pas du tout ce quon va en faire.
Si quelquun ici cherche une épouse, quil se manifeste, je pense que Marie-Renée sera parfaite en femme de monsieur.
Nous sommes prêts à la vendre sil le faut. Si si, nous avons les moyens, nous avons fait une bonne saison, nous pouvons vraiment la vendre à un bon prix.
Il faut lui dire je taime au moins trois fois par jour, sinon elle crève les pneus des voitures et devient agressive, pour le reste, elle a les seins et le cul haut perchés, cest vraiment une brave femme.
Je suis certaine quil y aura ici quelquun qui sera ravi de lui mettre lanneau au doigt.
Nous sommes prêts à laccueillir par la suite à prix dami, aussi longtemps quil le voudra.
Cest pas une bonne affaire, ça ?
(une pensée pour Merhappe, y'a la place de Marie-Renée qu'est à prendre ma belle :)
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