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Fait d'hiver : les Chevaux du Lac Ladoga par Annaconte

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Hubert Reeves dans L’heure de s’enivrer (paru aux Éditions du Seuil en 1986) s'appuie sur un fait véridique pour expliquer le phénomène physique de la « surfusion ». Ce fait exceptionnel avait d’abord été rapporté par l’auteur italien Malaparte, dans un livre intitulé Kaputt. (1943). Petite fille, cette histoire des Chevaux du Lac Ladoga m'avait été racontée et puis je l'avais perdue tout à fait dans les replis cachés de ma mémoire...il m'en restait cependant des images sublimes, et surtout l'idée qu'il s'agissait d'un conte. J'ai réalisé tard que ce n'était pas un conte, mais une véritable histoire dans l'Histoire et cela ne lui enlève ni sa beauté ni son Tragique. Bien au contraire. Je m'en vais donc vous la conter. A ma façon. Comme une variation sur le texte de Curzio Malaparte que je n'ai pas relu hélas, et aidée par d'autres lectures glanées au fil du net. C'est que ce matin, il neige voyez-vous, et me voici comme vous prisonnière de tout ce blanc, heureuse aussi de pouvoir prendre le temps et de vous le faire partager. Et m'est donc revenu ce récit : C'était l'année 1942. En Russie. Près du lac Ladoga. Depuis plus d’un an, l’Allemagne était en guerre contre la Russie et Hitler attaquait sur tous les fronts. Les bombardements arrivaient jusqu'ici et ne cessaient pas depuis des jours. Ce soir là, on entendit soudain une détonation terrible de l'autre côté du lac. Le ciel s'embrasa au-dessus de la forêt. L’explosion avait provoqué un incendie. "Le brasier était lointain, dans les terres d’en face, mais une lueur monstrueuse colorait la forêt enneigée et les champs immobiles. La scène était grandiose".* On vit alors monter du fond de l'horizon comme une vague de brume. Du fond de la forêt en feu surgissaient des milliers de chevaux paniqués qui s'engouffraient en folie dans la plaine de neige, galopant en tous sens pour fuir l'incendie , hénissant et fous, complètement désorientés. La peur les poussait tout droit, las !...., en direction du lac. Les yeux hors de la tête, exorbités et aveuglés, les naseaux grands ouverts, les chevaux déchaînés crachaient une écume blanche aussitôt emportée par le vent du nord, et leurs crinières, rousses aux lueurs du brasier, aussi battaient dans l'air glacé de la nuit. L'eau du lac n'était pas encore transformée en glace. Et la lune se mirait dans l'eau tranquille. Les bêtes affolées virent dans ce miroir limpide comme une chance, comme un espoir et s'y jettèrent précipitemment dans une ruée folle. Magré la ouate neigeuse, on pouvait entendre les chocs sourds de leurs sabots en furie fendant les berges du lac. "La tête tendue hors de l’eau, ils nageaient vers l’autre rive. Au contact de l’eau, leurs crinières ne tardèrent pas à former des cristaux. C’est alors qu’il se fit un grand vacarme. Les cristaux se propagèrent rapidement et, par une réaction en chaîne, tous les glaçons s’entrechoquèrent, se joignant en un magma mortel. L’amoncellement forma un embâcle, étouffant le poitrail des chevaux paniqués. En un instant, tout le lac gela. Arrêtés dans leur course, hébétés de ce qui leur arrivait, les chevaux poussaient dans la nuit de longues plaintes désespérées." Les poils fins des chevaux russes se ruant dans le lac avaient suffi à précipiter l’étau de glace qui devait leur servir de tombeau. Leurs têtes effrayées surgissaient maintenant hors du lac, leurs yeux en colère lançant des regards fous. Ils ne tardèrent pas à mourir, tous."* Ce que l'on put voir alors semblait venir de l’au-delà. "La lune se joignait à l’incendie pour éclairer ces centaines de têtes frappées de stupeur. Les poils des chevaux s’étaient transformés en autant de cristaux dont le scintillement semblait une multitude d’étoiles flottant au-dessus de la banquise. De longs glaçons transparents surgissaient des crinières rigides. Chaque tête était devenue une inquiétante sculpture de cristal suspendue dans le temps."* Le lendemain matin, quand les soldats arrivèrent sur les berges du lac Ladoga, ils restèrent "sidérés par l’étrangeté et la beauté de ce paysage sublime, où l’horreur de la mort scintillait des mille feux de la vie."* " Le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Les têtes semblaient coupées net au couperet. Seules, elles émergeaient de la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage. Dans les yeux dilatés on voyait encore briller la terreur comme une flamme blanche. Près du rivage, un enchevêtrement de chevaux férocement cabrés émergeait de la prison de glace... Les soldats du colonel Merikallio descendaient au lac et s'asseyaient sur les têtes des chevaux. On eût dit les chevaux de bois d'un carrousel. " On raconte ou l'ai-je imaginé ? qu'au printemps suivant, lors du dégel, alors que le lac figé redevenu eau libérait un à un les chevaux prisonniers de sa glace, et que lentement l'air s'adoucissait, on pouvait croire entendre tomber du ciel tels des cristaux fragiles, les cris et les hénissements, les plaintes, les stupeurs et les gémissements de douleur, des pans entiers de terreur et d'épouvante maintenus là, comme en suspens, dans l'air froid de l'hiver, pris au piège du gel eux-mêmes, instantanément, en même temps que les malheureuses bêtes, et qui en fondant, retrouvaient leur substance et s'entrechoquaient comme des glaçons ou du verre brisé......en sombrant à leur tour dans le lac.... - - - Correspondant de guerre sur le front de l'Est, Curzio Malaparte campe avec une grande finesse l'enfer dans lequel est plongée la vieille Europe. D'un dîner ubuesque avec Hans Frank, général-gouverneur de Pologne, aux paysages apocalyptiques d'une Russie exsangue en proie aux criminels de la Wehrmacht, en passant par les garden-parties décadentes d'une aristocratie romaine toute dévouée au fascisme, Malaparte scrute, en chroniqueur implacable, les horreurs de la guerre et nous emporte dans le récit hallucinant et halluciné de la misère du monde. " ** Dans son roman Kaputt (1943), l'écrivain italien Curzio Malaparte relate donc cette anecdote , que l'on présume survenue en 1942 lors du siège de Léningrad : « Le troisième jour un énorme incendie se déclara dans la forêt de Raikkola. Hommes, chevaux et arbres emprisonnés dans le cercle de feu criaient d'une manière affreuse. (...) Fous de terreur, les chevaux de l'artillerie soviétique - il y en avait près de mille - se lancèrent dans la fournaise et échappèrent aux flammes et aux mitrailleuses. Beaucoup périrent dans les flammes, mais la plupart parvinrent à atteindre la rive du lac et se jetèrent dans l'eau. (...) Le vent du Nord survint pendant la nuit (...) Le froid devint terrible. Soudainement, avec la sonorité particulière du verre se brisant, l'eau gela (...) Le jour suivant, lorsque les premières patrouilles, les cheveux roussis, atteignirent la rive, un spectacle horrible et surprenant se présenta à eux. Le lac ressemblait à une vaste surface de marbre blanc sur laquelle auraient été déposées les têtes de centaines de chevaux. » L'astrophysicien Hubert Reeves quant à lui reprend ce récit et le tient pour véridique dans son livre L'Heure de s'enivrer (1986). Il émet l'hypothèse que le gel quasi-instantané de l'eau du lac était causé par un changement de phase rapide dû à l'état présumé de surfusion de l'eau au moment de l'incident. La grande encyclopédie vulgarisatrice Wikipedia de son côté nous précise : "La surfusion est due à l'énergie de tension superficielle à l'interface solide-liquide. De manière simplifiée, on peut considérer que dans un liquide libre d'impuretés, les petits germes de solide en voie de congélation sont instables car ils sont refondus par l'agitation thermique. Plus rigoureusement, l'énergie libérée par la solidification (chaleur latente de fusion) ne compense pas l'énergie dépensée pour créer l'interface solide-liquide. Le liquide continue donc à se refroidir sans solidifier. Cet état peut être déstabilisé par l'ajout d'impuretés microscopiques (poussière) ou un cristal de glace, pouvant servir de noyaux de condensation, ou par un brassage qui stimule la formation de cristaux suffisamment gros pour ne pas refondre. Ce phénomène se traduit en physique par une économie d'énergie. En effet, bien que la température soit plus basse que la température critique, le fait de passer de l'état liquide à l'état solide requiert un coût énergétique. Or, du fait de la température et en l'absence de perturbation (pouvant être induite par la présence d'impuretés), le système ne "collapse" pas. " "Un autre exemple plus ancien mais purement fictif se trouve dans la littérature : Hector Servadac, roman de Jules Verne écrit en 1877, décrit un phénomène de surfusion de l'eau et la solidification instantanée d'un bassin de plusieurs milliers de kilomètres carrés. L'eau est en effet refroidie par l'éloignement de la comète Gallia du soleil et absente de tout mouvement macroscopique (pas de vent ni de marée), la congélation est déclenchée par le lancement d'un caillou par Nina, la jeune italienne recueillie par Servadac." Je laisse la place s'il veut bien, à Jules Felix pour relever les erreurs et développer l'explication de ce phénomène, il sera sans doute plus à même que votre servante qui elle, se contente de conter.......... * blog de Minok "Monique et sa chronique" où j'ai puisé quelques lignes si belles et si parlantes , emprunt qu'elle me pardonnera sans doute et je l'en remercie ** publié dans Récits du temps perdu. sur le net et bien sûr, merci qui ? ....merci Wiki

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