Quantcast
Channel: Les commentaires de Pointscommuns.com
Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

Fleur en herbe par Jules Félix

$
0
0
C’était il y a déjà deux ans et demi, bientôt trois. C’était au début de l’été, la nature était douce et tendre. Il avait décidé de passer ses vacances dans l’Est. C’était un choix. Il fallait un peu se séparer du quotidien. Cela lui ferait du bien. Cinq ou six semaines loin du ronronnement parisien, comme cela lui irait bien. Il savait que ce serait dur de revenir mais il fallait bien se détendre un peu, changer de vie, bouger, voir de nouveaux univers. Il n’allait pas dans un endroit inconnu. Au contraire. Il était connu. Très connu. Très attendu aussi. On s’impatientait de le revoir. Il était aux anges. Il savait qu’il serait royalement apprécié. Il l’avait déjà expérimenté les autres fois. Il y avait même une certaine touche de tendresse et d’affection chez ses hôtes. Il ne devait absolument pas les décevoir, et la plus grande déception aurait été d’annuler son voyage. Alors, il arriva jusqu’à la porte. On lui ouvrit, il entra et ce fut la fête pour le mois qui allait venir. Le délire. Il adorait cette habitation-là. Des balcons clairs, un espace légèrement étendu et bien aménagé, des mètres carré acquis à une liberté totale. L’environnement humain était chaleureux, la confrontation sociale était quasi-nulle et il subodorait que ses moindres caprices, pourvu qu’ils fussent emballés dans une gaine qui insensibilisait correctement la susceptibilité collective, devenaient des consignes d’ordre constitutionnel. Pourtant, il a déçu ses hôtes. Il était moins tendre. Moins proche. Moins chaleureux. Moins familier. Il les ignorait même, certains moments. La raison à cela ? Contrairement aux autres fois, lorsqu’il a franchi le seuil de la porte, il découvrit qu’il y avait une jeune brunette fort sympathique. La demoiselle était extrêmement jeune. Il n’osait même pas imaginer qu’il pourrait être son père… peut-être même son grand-père, qui savait ? C’était pour lui une cohabitation fort agréable. Il n’avait d’yeux que pour elle. Pour ses moindres désirs. Elle était très timide. Elle était hypnotisée par lui. Elle n’avait jamais parcouru le monde. Elle n’avait jamais connu vraiment d’autres êtres à part ses hôtes. Certes, elle avait été à bonne école. Certes, sa mère avait accompli toutes les obligations d’usage pour être éduquée comme il fallait. Mais il y avait probablement manque. Peut-être un certain isolement ? Peut-être une trop grande oisiveté. Elle parlait à peine. Elle se faisait comprendre juste par quelques onomatopées, et encore, il fallait vraiment les provoquer. Lui, il avait compris qu’elle prenait une part gigantesque de son petit cœur. Lui qui n’avait jamais connu l’amour. Qui ne savait pas vraiment ce que c’était. Il avait connu quelques histoires, c’était vrai, mais il était juste non pratiquant. Il ne voulait pas jouer à ces jeux. C’était trop particulier. Ce n’était pas son truc. Ce n’était pas dans ses tripes. Lui, c’était un petit pépère qui roulait tranquillement les mécaniques. Il se contentait de peu. Pourtant, là, elle éclatait en plein visage. Ses éclats éblouissaient en permanence ses yeux. Il aurait pu s’acheter des lunettes à écran solaire mais justement, pragmatique, il avait accepté de saisir le destin et de prendre en main son existence. Il avait maintenant quelqu’un dans la vie. Une petite brunette toute plaisante, toute fragile, toute émouvante. Il y a un jour, par exemple, il a eu très peur. C’était cette peur qu’il avait analysée comme un symptôme indéniable d’amour ravageur. Elle s’était approchée un peu trop près du bord du balcon et elle avait failli dévisser. Il avait sauté vers elle et il l’avait bousculée pour éviter la chute. Trois étages, cela n’aurait pas pardonné. Plus paternel qu’amant, d’ailleurs, il a réagi avec gros mots et colère, lui faisant la leçon que ce n’était pas parce qu’elle ne connaissait pas bien les lieux qu’il fallait s’ouvrir aux plus extravagantes imprudences. La petite a eu peur, elle aussi, et a bien compris la leçon. Il n’a pas eu besoin de répéter deux fois et cette colère a uni définitivement les deux existences. Pas de doute, il était son protecteur. Son ange gardien. Le non pratiquant l’adorait la prendre dans ses bras. Ils dormirent souvent ainsi, enlacés comme des bébés. Le silence de quiétude et le calme des anges. Le plus dur a été la séparation. Elle ne pouvait pas le suivre. Et lui devait absolument partir. Son avenir l’attendait bruyamment plus à l’ouest, dans cette zone humide et venteuse où se dressait une sorte de tour en ferraille. Il lui avait promis qu’il reviendrait la voir. Qu’il noterait sur un petit carnet chaque jour de séparation. Qu’elle viendrait le voir aussi. Qu’elle pourrait admirer ces bouts de ferraille. Ce fut pleurs et déchirement. Et, pour une fois, quand il laissa quelques poils après son départ, elle se mit à miauler de chagrin.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

Trending Articles