une si rare rencontre par Bertille 67

Nous nous sommes rencontrés un soir d'automne, la nuit était tombée. J'errais, la lampe tempête à la main, le cœur perclus de douleur, les yeux inondés de larmes à la recherche d'une personne, de quelques vivants capables de me reconnaître en humanité, ou simplement à la découverte du monde, s'il en était. Quelqu'un enfin qui me dirait que oui, j'existais encore, j'étais vivante, en forme et un jour sans doute, désirable encore et encore … Tu étais là, mais que faisais tu sur un tel site de rencontre ? Toi qui étais si peu sûr de pouvoir trouver une âme sœur, étrangère aussi et suffisamment attentive à te donner quelques tendresses, celles que tes amours avaient cessé de cultiver pour toi alors que tu criais famine dans un assourdissant silence. Nous avons parlé comme le petit prince avec son allumeur de réverbère. Une découverte de l'autre simple, si calmement ouverte à l'échange, à l'autre et au même… Nos voisins entendaient-ils alors le bruissement de nos bonheurs partagés ? Je te découvre, tu me découvres, on se découvre, … c'est bon, immensément bon. Tu n'as pas eu peur. D'emblée, sans ambages, tu m'as écrit ton numéro de téléphone ; ancrage dans le réel, par delà la crainte du dévoilement qui t'aurait tout fait perdre ; confiance intuitive qui ne s'invente pas, qui se donne ou se refuse : tu l'as donnée. Ta voix eu vite fait, quelques heures après, d'instituer en mon cœur, l'attente de toi ; pour toujours. Tu es venu encore et encore, plusieurs soirs, pour "chatter" avec moi ; séquences rythmées par mes messages de tous les jours. Oui, chaque matin je t'écrivais. Tu m'inspirais d'inextinguibles textes, mots, poésies, toutes sortes de partages de rosée, de midi, de soleils de minuit. Où ai-je cherché tous ces textes, ces jeux, ces conjugaisons de folies, ces espiègleries pour te plaire ? Qui m'aurait cru capable de ces brassées de propos comme de fleurs des champs dans leur naturelle prolixité et leur inébranlable authenticité ? Moi, qui suis si secrète. Tu étais silencieux à la lecture de tous ces textes. Tu aimais me lire, tu m'ouvrais ta porte chaque matin dans les effluves du petit déjeuner et à la fraicheur du petit jour. Tu répondais peu, qu'importe ! Demain, je t'écrirais encore ! A l'extrémité des terres, ton regard se perdait dans l'océan, cherchant la naïade qui quelque part venait au devant de toi. Nous avons un jour faussé compagnie à tous nos compagnons, pour une rencontre. Allions nous nous reconnaître, faire perdurer notre attachement par delà l'illusion cybernétique, privés provisoirement de la danse effrénée de nos pixels domestiques ? Nous nous sommes reconnus sans effort, dans le soyeux déchirement du rêve et de l'imaginaire. Tu es encore là vers moi, ton regard outremer plongé dans mes yeux cueillant mes sincérités confondantes, ta main qui explorait la mienne, qui voulait se souvenir de moi, aussi à travers mon bras ; quête dont l'empreinte demeure encore à ce jour sur ma peau. Le restaurateur n'a pas su nous régaler, notre faim était en goguette. Sur le trottoir, lorsque le travail m'a rappelée à l'ordre, tu m'as serrée contre toi, ton souffle brièvement attardé au creux de mon épaule. Tu as disparu très vite, ton écharpe au vent, dans le flot des passants à la recherche de leur monture. J'aurais voulu courir vers toi de toutes mes forces, te dire que je restais là pour toi, que l'on avait encore tant de choses à se dire, m'asseoir dans l'ombre de ta vie mais si proche de la lumière, pour y renaître au plus vite, à ton appel. Tu avais renoncé à tout cela. Je te remercie ce soir pour nos presque six années d'intimes conciliabules, d'accueils réciproques dans l'éclat de nos crépuscules … et de compagnonnage amoureux et fraternel à éclipses. Tu n'a pas seulement séché les larmes d'une petite fille perdue, tu as aussi fait renaître en mon cœur, le délicieux et obsédant appel de l'amour. A mon Valentin, 14/2/12