Cest une photo jaunie par le temps, prise à lété 1976. Une jeune fille souriante, heureuse. Elle a de longs cheveux dorés par le soleil, elle est plutôt jolie. Une photo publiée seulement aujourd'hui. Car lhistoire ne connaitra jamais son visage mais va retenir son prénom : Elle sappelait Carole.
1970. La moto est un phénomène marginal. Ses adeptes sont volontiers rebelles. On les surnomme les blousons noirs. A Paris, ils se réunissent le vendredi soir au café le Bouquet, à Alesia. Renaud sy rend parfois. Et puis, avec larrivée des motos japonaises, moins chères et plus fiables, beaucoup sy mettent. Le café dAlesia devenu trop petit, ils se retrouvent place de la Bastille.
Bastille deviendra un immense capharnaüm, courses sauvages, marché de pièces et merguez. Toujours le vendredi soir. En octobre 1972 est organisé le « Grand prix international de Paris de vitesse » dans les allées des halles de Rungis, crées 3 ans auparavant. Cest du sérieux, avec tous les champions de lépoque, mais dans des conditions de sécurité proches de la science fiction aujourdhui : Un circuit entre hangars, trottoirs, poteaux et bottes de pailles.
Il nen faut pas plus pourtant pour que tous émigrent à Rungis. Lépoque des courses sauvages. Le phénomène devient énorme, les mômes tournent sur leurs mobylettes en même temps que les gros cubes devant des centaines, voire certains soirs des milliers de spectateurs, qui se prennent parfois des motos dans la figure. Il y a régulièrement des morts.
Le 23 septembre 1977, Carole est passagère sur la moto de son amoureux. En arrivant à Rungis, ils chutent à pleine vitesse. Carole percute un poteau et meurt sur le coup. Elle a 18 ans.
Le soir même, tous rentrent à Paris en convoi et sarrêtent devant lElysée. Ce sera la première manifestation de motards de lhistoire. Laffaire arrive au gouvernement, Yves Mourousi, présentateur vedette de TF1, devient médiateur. Létat financera un circuit de vitesse à Tremblay, au Nord de Paris. Inauguré en septembre 1979, le circuit, qui existe toujours, prendra le nom de Carole.
Une jeune fille, éprise de liberté et de vitesse. La fureur de vivre aurait dit James Dean. Car Carole est, avec le temps qui a passé, devenue le symbole de la fin dune époque, de la transformation de la société française aussi. Les années 80 allaient être bien différentes et faire disparaître pour de bon tous les rebelles, quils soient à moto ou pas.
Carole fût la mort de trop. 33 ans après, sa tombe, dans un petit cimetière de la Nièvre, est toujours aussi fréquentée, comme dautres au Père Lachaise. Vivre vite et mourir jeune disait-on à lépoque. Un peu trop jeune quand même... Mais depuis peu, celle qui na jamais eu quun prénom a désormais un visage.
Alors, me reviennent en mémoire toutes les mémoires, celles de ceux qui vivent : "si par une chance inouïe nos routes ne se trouvent pas trop éloignées, on peut encore imaginer que nous nous apercevrons, et même, que nous nous croiserons....Pour nous saluer, nous ignorer, échanger quelques mots avant de repartir, avec ce dernier, cet unique souvenir : avoir rencontré un visage sur la piste, un seul visage, et vivre avec lui."
Rungis fut, comme on dirait aujourd'hui, un épiphénomène de société, le dernier mouvement en marge. Il aura fait, entre 1973 et 1978, 25 morts et des centaines de blessés.
Rungis par Renaud...
http://www.youtube.com/watch?v=xYLtSEMvENo
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