Les Kouriles - 2 - Strange place for snow par Sans dit

(où notre héros commence à sérieusement se geler les miches). (Un mot mystère se cache dans ce texte glaglatant. Sauras-tu le retrouver ? Un pokémon dédicacé aux dix premières bonnes réponses). 2/ Voilà plusieurs mois que je vis dans l'île. J'apprends. Enfant, je détestais les saucissons/choucroute. Ici, ça n'a plus d'importance. La seule chose qui compte, c'est que la soupe de saucisson/choucroute réchauffe le corps. La vodka aussi, mais j’ai appris à m’en méfier. Sarytchev n'était pas un Bolchevik. C'était un explorateur russe du 18ième siècle. A l'époque, les projets russes d'expansion vers l'est lui ont permis de monter des expéditions maritimes à partir d'Okhotsk, et il a découvert cette île et lui a donné son nom. C'est la vieille qui me l'a dit. Les Russes ont petit à petit investi l'ensemble des Kouriles, à l'exception des quatre îles les plus méridionales, qui avaient été colonisées par les Japonais dès la fin du 16ième siècle. Peu après la capitulation de 1945, les Japonais qui vivaient dans ces îles du sud ont été chassés et elles devinrent elles aussi territoires soviétiques. Quant au peuple originel, les Aïnous, ils ne sont plus qu'une poignée, essentiellement dans les îles du sud. La petite vieille sans histoires connaît aussi bien l'histoire de son île que le goût de la soupe de saucisson/choucroute. A Sarytchevo, tu ne trouveras que quelques vieux Russes et des oiseaux migrateurs me dit-elle hilare. J'ai envie de lui répondre que c'est déjà presque trop, mais je me tais. Elle ne comprendrait sans doute pas. Elle ne comprendrait pas que l'on puisse venir ici pour les mêmes raisons pour lesquelles d'autres en sont partis. Le froid, l'isolement, le dénuement. Le vent. Les lendemains identiques aux hiers. Le temps qui ne passe pas, qui n'a pas de prise. J'oublie. Enfant, je n'aimais pas le saucisson/choucroute et je courrais après les chats. Je les prenais en filature, et les suivais dans leurs périples sans logique. Ce sont eux qui m'ont fait découvrir certains recoins mystérieux de la ferme de mes grands-parents. Elle me paraissait énorme, démesurée. La nuit, je rêvais de passages secrets, de tunnels qui reliaient la cave à la grange, et caché derrière les tas géométriques des bottes, j'observais le monde extérieur depuis une meurtrière savamment aménagée dans la paille. D'autres passages reliaient différentes pièces entre elles, un autre m'a fait découvrir un endroit immense, une sorte de bibliothèque au plafond haut et aux étagères vides, dont il m'arrive encore de rêver aujourd'hui. Un autre encore débouchait au beau milieu du petit cimetière de famille de la ferme voisine, des protestants d'une secte locale (*), un autre arrivait dans le mystérieux socle de pierre surmonté d'une croix en fer forgé, de l'autre côté de la route, à l'entrée du chemin qui mène à la maison du lac. Il y avait une petite porte en bois sur une face du socle, et à l'intérieur, rien. Je me suis toujours demandé à quoi cela pouvait bien servir. Cela ne pouvait être qu'un passage secret. J'étais le seul à connaître tous ces tunnels imaginaires, hormis pensais-je mon grand-père, qui avait construit la maison, et hormis les chats. En suivant les chats, j'ai non seulement découvert la maison, mais aussi les alentours. Et souvent, j'oubliais le chat qui m'avait faussé compagnie, en arrivant dans un lieu inconnu jusqu'alors, me demandant ce qu'il y avait au bout de tel chemin, dans tel bois, derrière tel champ. Et j'allais voir. Je ne m'éloignais jamais énormément, quelques kilomètres tout au plus, mais je me perdais parfois, et mon monde était alors infiniment plus vaste qu'il ne le fut par la suite, quand arrivèrent les voitures, les trains puis les avions, quand les noms sur les cartes des dictionnaires devenaient des réalités, et que le mystère rapetissait au fur et à mesure que le réel grandissait. (*) Le mot secte est à prendre ici dans son sens premier, et non dans le sens d’organisation douteuse aux activités répréhensibles aux yeux de la Miviludes. Il s’agit ici d’un rameau, apparu grosso-modo au milieu du 19ième siècle, séparé du protestantisme méthodiste lui-même branche plus ou moins dissidente de la souche calviniste synodale. Les voisins en question ayant vraiment existé, et les ayant par conséquent bien connus, il convient de dire qu’il n’y a de ma part strictement aucune connotation péjorative. C’était une précision pour les esprits chaffouins.