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Ma vie, mon oeuvre par Tcherenkov

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Binette Rateau, ma mère, naquit trouée à plusieurs endroits du corps. Oreilles, narines, nombril et anus ne soulevèrent pas d’interrogations particulières, chaque orifice occupant une fonction dès le départ de manière simple et mécanique. Mais la découverte du trou qu’elle aperçut un jour entre ses jambes (alors qu’accroupie elle faisait pencher dangereusement sa curiosité vers le centre de la question) l’effraya tant qu’elle condamna soigneusement l’accès au puits et n’évoqua plus la chose. Du reste, Binette se forgeant rapidement des rassurances à coups d’explications hâtives ne chôma pas : Dieu n’étant pas parfait, il avait faibli sur la couture, ce qui pour un être doté d’une telle masculinité est bien naturel. La couture n’ayant pas tenu, un trou s’était formé, inutile et sans intérêt. Ayant admis l’étourderie divine elle clôt ainsi le problème, espérant que personne ne découvrirait l’accroc. Dieu fut sans doute sensible à la closerie du trou car des affres de la puberté il l’épargna, songeant sans doute que la vue du sang ne ferait que pétrifier la douce enfant déjà bien malmenée par l’ignorance. Jeune, Binette ne fréquenta pas l’école. Elle bina (ben oui, avec un nom pareil que voulez-vous qu’elle fit ?) bêcha, sarcla, pria, eut parfois des voix mais jamais beaucoup d’esprit. Les années passèrent, on binait, on binait. Cocufié par une cousine commune lointaine (La Sarclette Rateau, cette salope), monsieur Rateau vint un jour larmoyer sur son triste sort, et apercevant Binette s’exclama : Binette, vous êtes la simplicité qu’il me faut. Lorsqu’après deux années d’une approche laborieuse (qu’on qualifierait aujourd’hui de foutage de gueule) monsieur Râteau franchit le col tel Bonaparte au sommet du Grand-Saint-Bernard, il crut sa future épouse trépassée par la terreur, aussi pensa-t-il qu’il valait mieux ne pas déterrer le mystère de cet ourlet faiblard. Afin de bien lui faire comprendre qu’il partageait son souci de couture il alla néanmoins jusqu’au bout, toucha le fond, planta son drapeau et se retira aussi silencieusement qu’il était entré. Binette ayant refusé toute exposition de sa couture à un public qu’elle jugeait incompétent à comprendre une telle morfondure, je naquas neuf mois plus tard dans la cabane de jardin, tandis que ma mère serrait dans ses mains un manche de serfouette autour duquel elle passa vigoureusement ses douleurs. Je fus donc appelée Serfouette et continuai longtemps à servir de manche à ma mère qui reprit le binage là où elle l’avait laissé. Dès que mon âge m'offrit de comprendre les étourderies divines, ma mère, qui avait remarqué très vite chez moi un défaut de couture similaire, attribua derechef la faute au gène, me refila le bébé et l'explication qui va avec. Mon père ne broncha pas, j’y crus et tout alla bien. J’enseigne à l’école. J’apprends aux enfants à recoudre les étourderies avec du fil à plomb, je leur apprends aussi que les enfants ça sort par le nombril, et que le nombril du monde c’est pas rien. Si Courbet était encore vivant je lui écrirais pour qu’il rectifie son erreur et que cesse ainsi le mépris profond qu’il porte au créateur en se moquant ainsi de son étourderie. Mais il est mort et moi je n’existe pas, je cultive des jardins qui n’existent pas, j’invente des origines du monde bidon, des femmes et des hommes bidon, et lorsque je regarde mon nombril je le trouve complètement binette. ***** Les textes nouveaux sont trop longs pour être publiés ici, j'ennuierais tout le monde avec mes avalanches, alors je ressors une vieille dentelle pour laquelle j'eusse jadis quelque affection :)

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