J'ai, dans un texte et dans les réponses à des réactions suscitées par ce texte, adressé quelques coups d'épingle, voire quelques coups de griffe à Monsieur Michel Onfray. Je suis au regret d'avoir agi ainsi. J'ai donc décidé de reprendre la plume, mais celle-ci, sans doute bourrée d'amphétamines, m'a entraîné au triple galop bien au-delà de ce que je souhaitais et le résultat dépasse par se longueur ce qui me semble être acceptable ici. Aussi vais-je faire comme les feuilletonistes de la belle époque du journalisme, les Dickens, Dumas père ou Balzac, je vais le publier en plusieurs épisodes.
Donc, je suis au regret d'avoir égratigné la noble figure de Michel Onfray.
En effet « Le crépuscule d'une idole » se révèle être, grâce à un énorme battage médiatique, l'arbre qui cache la forêt. ( Il est évident que si l'arbre est déjà dévoré par les ombres du crépuscule il y a de fortes chances que la forêt soit plongée dans de profondes ténèbres propices à égarer le visiteur. )
Je me serais donc acharné sur un seul représentant de l'entreprise anti-freudienne ( société à responsabilité très limitée ) alors qu'elle compte d'autres associés. Mais je verse à ma décharge le fait qu'ils affichent des chiffres d'affaires bien loin des quelque cinq cent mille euros que les affabulations onfrayantes ont pu rapporter à leur auteur, ce qui explique qu'ils aient pu passer inaperçus à mes yeux.
Ainsi, en quelques années ont paru un certain nombre d'ouvrages, d'aucuns monoparentaux, d'autres collectifs, mais tous animés de la même volonté de détruire le père de la psychanalyse. ( Bizarrement tous les autres psychanalystes, collaborateurs de Freud, prolongateurs de ses recherches, tous ceux qui ont profondément bouleversé la connaissance dans ce domaine ou dans sa pratique clinique, tous ceux qui exercent quotidiennement, tous ceux-là ont été exclus. Donc on ne saura pas si eux aussi se sont vautrés goulument dans le mensonge et la désinformation ou s'ils étaient, s'ils sont, des praticiens, des hommes et des femmes parfaitement sincères, honnêtes, consciencieux, auquel cas, tous ces ouvrages assassins ne peuvent pas prétendre disqualifier la psychanalyse puisqu'elle est servie par des professionnels intègres et compétents. Tous ces livres ne font que dresser, au pire, le portrait d'un personnage peu sympathique. Encore faudrait-il que tout ce que leurs auteurs affirment soit vrai. Ce qui est, nous le verrons, très loin d'être la cas. )
Le premier constat qui s'impose, lorsque l'on pénètre dans cette forêt, armé d'une puissante lampe de poche, tant l'obscurantisme y règne en maître, c'est qu'elle n'est plantée que d'une seule essence d'arbre. On a tout de suite l'impression de déambuler au cur d'une armée de clones.
Tous ces livres développent les mêmes arguments, citent les mêmes anecdotes et commettent les mêmes erreurs ( volontaires ou non ) à tel point qu'on finit par se demander s'ils n'ont pas copié les uns sur les autres. Ou si, tout simplement, il n'y a pas grand chose à dire, même quand on a recours à l'affabulation. Avantage, il n'est pas nécessaire de les acheter tous. Un seul suffit et l'on peut opter pour le moins cher.
Malgré tout, dans ce monotone panorama clonesque, un auteur se signale par son originalité. Monsieur Jacques Bénesteau, en guise de promotion de son livre, préfère expliquer qu'un complot a été ourdi contre lui par tous les médias car ceux-ci sont dirigés par des Juifs, forcément favorables à Freud qui l'était aussi. Il prévient donc, d'avance, que, à cause de cela, son livre n'aura aucun succès.
Heureusement qu'il nous le précise parce que, figurez-vous que, moi, après l'avoir lu et n'y avoir trouvé qu'un ramassis de ragots, une collection de contre-vérités, une compilation d'erreurs, tout cela dans une manière d'écriture à peine digne d'un enfant de cours moyen, je pensais bêtement qu'il n'avait pas trouvé lecteur parce que c'était de la très mauvaise littérature.
En même temps on peut comprendre que, puisqu'il savait qu'un complot avait été fomenté contre lui et qu'il n'avait aucune chance de vendre son bouquin, il n'ait pas pris la peine de vérifier ses dires, de se documenter, ni d'organiser son texte et de soigner sa prose.
Donc, que ceux qui n'ont pas remporté le concours des « dix mots » organisé par notre cher site de rencontres culturelles se rassurent. Ils ont été exclus du palmarès, non parce qu'ils n'avaient aucun talent ( d'ailleurs tout le monde, et leur mère, sait qu'ils en sont pétris au-delà de la norme ). Ils en ont été exclus parce que le jury avait ourdi un complot contre eux en vue de les éliminer à cause d'une certaine particularité qui les rend haïssables.
Aussi, sachez-le, si vous êtes noir, vous avez été éliminé parce que le jury n'est composé que de blancs. Si vous êtes blanc, c'est parce qu'il ne rassemble que de noirs. Si vous êtes de droite c'est qu'il n'accueille que des gens de gauche. Si vous êtes Hutu, il n'y a que des Tutsis. Si vous êtes zoophile, c'est qu'il ne compte que des membres de la SPA. Si vous êtes Martien du sud, il ne réunit que de Zorglubéens du nord. Etc. Etc.
Que cette digression ne nous fasse pas oublier qu'un livre est, avant toute chose, une uvre littéraire et qu'il est destiné à être lu. Le lecteur qui va lui consacrer du temps est en droit d'exiger de l'auteur un texte construit, documenté, sincère, servi par une écriture efficace et plaisante. Avec nos freudophobes on en est souvent très loin.
Ce qui n'est pas la cas de l'autre côté du Rubicon. Par exemple, et quelles que soient mes opinions sur lui, il est indéniable, par exemple, que Jacques Lacan a un style époustouflant à nul autre pareil et que d'autres, comme Didier Anzieu, Wilfred Bion, Donald Winnicott, ont une plume qui ravit le lecteur le plus exigeant.
Quant à Freud ( n'oublions pas que c'est lui qui est au cur de ce lynchage ) ses qualités littéraires ne sont pas minces non plus puisqu'il a reçu en 1930 le prestigieux prix Goethe ( comme se le sont vu décerné aussi, entre autres, Albert Schweitzer, Hermann Hesse, Thomas Mann, trois prix Nobel ) et que soixante-dix ans plus tard « Trois essais sur la théorie de la sexualité » a été hissé à la vingt-cinquième place des cent meilleurs livres du vingtième siècle.
Au-delà de ses indéniables qualités littéraires, au-delà de sa compréhension du fonctionnement psychique, au-delà de la fondation de la psychiatrie moderne, l'uvre de Freud a aussi profondément imprégné la culture et la pensée occidentales. Que l'on pense au surréalisme, au mouvement dada, à l'Oulipo, à Salvador Dali, à René Magritte, à Max Ersnt, c'est toute la littérature, les arts, le cinéma qui ont subi l'influence de la psychanalyse. Mais elle a aussi profondément transformé la médecine, la philosophie ( n'en déplaise à nos tristes sires ), l'anthropologie, l'éducation.
Et si l'on porte notre regard, non plus vers l'extérieur, mais au fond de soi, on peut découvrir tout ce qu'elle y a déposé. C'est tout notre rapport à nous-même, à nos productions psychiques, à notre vie intérieure qui en a été bouleversé.
Notre représentation de la maladie mentale ou de la souffrance psychique a été dégagée, par la psychanalyse, des idées de possession diabolique ou d'empoisonnement par des humeurs nocives, voire de tare ou de dégénérescence, qui étaient communes auparavant. Elle a jeté les bases de la classification, de l'exploration et de la compréhension des grandes entités pathologiques. Quand on prétend d'untel qu'il est paranoïaque ou de celle-ci qu'elle est hystérique c'est à elle que nous devons cette connaissance. La distinction entre psychose et névrose, la notion de maladie psychosomatique, d'autres notions comme celle de phobie, de troubles obsessionnels, d'angoisse, de dépression, de perversion, nous sont acquises grâce à elle.
Quand nous disons à notre voisin « tu projettes », à notre cousin « tu refoules », nous empruntons encore ces termes à la théorie freudienne. Et pas que les termes, car si nous les utilisons à bon escient c'est aussi que nous en avons depuis longtemps intégré le concept. Et il en va de même pour « le bon objet », « la mauvaise mère », « l'objet transitionnel », « le lapsus révélateur », « la copine castratrice », « l'inconscient qui nous joue des tours », « l'acte manqué parfaitement réussi », « le saucisson qui est un symbole phallique », « le petit Jules qui nous a fait une régression à la naissance de sa sur ».
Et que dire quand on nous suggère que « Bernard nage en pleine analité », que « Laurence s'identifie à sa tante », que « Patrice prend ses fantasmes pour la réalité », que « Bénédicte culpabilise », que « François nous fait un complexe », que « Juliette cherche un père », que « Charles a épousé sa mère »? ( Nos représentants en haine parricide et en désinformation nous assènent à cor et à cri que le complexe d'dipe n'existe pas et pourtant il est partout présent dans notre langage. )
Et si l'on pousse l'exploration encore plus loin, plus en profondeur, on constate que nos attitudes envers les autres et envers nous-mêmes sont totalement imprégnées de nos connaissances psychanalytiques. Il en va ainsi de notre idée que le rêve a un sens, que le bébé est une personne, un être qui désire, ressent, prend du plaisir, s'angoisse, que son jeu n'est pas stérile mais organise ses futures stratégies de pensée. Pareillement pour le délire du psychotique dont on sait désormais qu'il n'est pas insignifiant mais possède une logique propre et peut se décoder par qui connaît la méthode. Et encore ce bobo qui nous assaille et dont on nous fait comprendre que « Tu somatises. Ton lumbago, c'est tout simplement que tu en as plein le dos ».
Les concepts, les idées de la psychanalyse coulent dans nos veines, nous ont façonnés, ont profondément marqué toute la culture occidentale.
Ils ont même circulé sur nos ondes, avec Françoise Dolto, par exemple, qui a apporté des réponses, du réconfort à des centaines de milliers, voire des millions de mères. Ils ont dirigé les choix institutionnels et politiques lorsqu'il s'est agi de définir les orientations de la protection maternelle et infantile, de construire des structures d'accueil pour les mères et les enfants, de bâtir des établissements plus humains pour accueillir les malades mentaux.
Et si la psychanalyse s'est ainsi insinué aux tréfonds de nous-même, a imprégné si profondément notre culture, a édifié si richement notre vision du fonctionnement humain, ce n'est pas parce qu'elle constitue le délire d'un esprit malade, mais parce qu'elle est l'expression la plus pertinente, la représentation la plus aboutie qui soit de notre univers mental.
Il y a donc de la part de nos fins limiers de « voici la philo de gala » une attitude très profondément malhonnête qui vise, en discréditant un seul individu, à disqualifier les travaux de milliers d'autres et à fouler aux pieds, à nier l'héritage culturel de notre société.
Attitude, aussi, de profond mépris pour tous ceux, tous les millions d'Hommes et de Femmes qui se sont lancés dans l'aventure psychanalytique et y ont trouvé le mieux-être, la rencontre avec soi, l'apaisement de l'angoisse, le plaisir, le bonheur, la possibilité de vivre enfin, de donner du sens à la vie.
Mais attitude très opportuniste. Car il n'y a rien d'original dans leurs discours, rien de nouveau, ni même rien qui se démarque de la mode actuelle qui consiste à tirer à boulets rouges sur tout ce qui est intelligent ( Ah non! S'iou-plaît, par d'prise de tête! ), tout ce qui est cultivé, les valeurs, les traditions et surtout tout ce qui vient des parents et notamment du père, figure d'autorité abhorrée. Nos penseurs à la petite semaine ne sont que des « fashion victims » qui s'emploient à tuer un père déjà mort.
Par contre, et c'est inexcusable de la part d'individus qui prétendent s'intéresser à l'Homme, ( sans doute comme l'assassin qui s'intéresse à sa victime ) ils apportent leur caution d'intellectuels, de philosophes, de scientifiques, à ce mouvement actuel d'anéantissement de tout ce qui constitue l'Humain.
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En fait je n'ai trouvé aucun sponsor qui veuille financer mon travail. Donc passez-vous la pub que vous préférez, profitez-en pour aller faire pipi.
Je vous retrouve dans quelques jours pour la suite des palpitantes aventures de Maître Onfray contre Docteur Freud...
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