Thème oblige (re)
Elle attend. Comme tous les jours, elle attend Sylvain.
Viendra, viendra pas ?
Sa peau fraîche contre l'écorce reçoit des pulsations infimes.
Son sang ? La sève ?
Elle se fait silence et oubli. Elle absorbe ce qui bruisse et ce qui vit.
Tout le tilleul rit d'abeilles. Leur bourdonnement et le parfum des fleurs l'enveloppent, l'enlacent, l'emportent.
Il est midi. L'ombre est pleine de trous qui dansent dans un ballet lumineux.
Elle espère que ce sera pour aujourd'hui.
Dans quelques instants le parc va s'animer, elle en connaît depuis des mois les habitués : ceux qui le traversent au pas de course, ne le considérant que comme un raccourci pour rejoindre lautre rue, ceux qui profitent du beau temps pour venir lire au soleil en grignotant dun air distrait, les curieux qui prennent le temps de déchiffrer les étiquettes usées du jardin botanique, les petits amoureux presque fondus l'un dans l'autre sur un banc isolé.
Tous l'ont considérée avec étonnement. Elle a suscité bien des curiosités, bien des commentaires : " qu'est-ce qu'elle fabrique, cette nana, tous les jours, par tous les temps, adossée à cet arbre ? Jolie, ça oui, on aurait bien envie de la draguer, mais elle affiche un air qui dit clairement que ce n'est pas la peine d'essayer."
Elle les ignore.
Au début, c'était difficile, elle avait sans cesse envie de se justifier.
Elle sent bien une vague réprobation dans leur attitude ; pourtant elle ne fait rien d'interdit : quel mal y a-t-il à rester immobile contre un arbre ?
Oui, mais
tous les jours !
Et alors ? Si c'est tous les jours, c'est suspect ?
Disons que c'est inhabituel. Et ce qui est inhabituel dérange
Une abeille s'est posée entre ses seins. Elle la laisse butiner. Elle se sent tilleul. Ca marche !
Des enfants, intrigués par son immobilité, continuent de traîner leurs minuscules baskets dans la poussière du sentier, la tête toujours tournée vers elle : "Qu'est-ce qu'elle fait, la dame?"
Elle mesure son détachement : elle n'a plus, comme au début, envie de leur crier
" Attention, tu vas te cogner!"
Et ils se cognent : on ne peut pas sans risque avancer en regardant derrière soi.
Elle ne regarde plus derrière elle.
Ne regrette plus cet amour si plein de manques qu'elle a voulu vivre, où le temps
est si long quand passe sa vie à attendre celui qu'on aime.
Elle va redevenir de bois. Cest ça, de bois, cest tout ce quelle a trouvé.
Elle sent l'arbre frémir contre son corps. Ça y est, cest pour aujourdhui, il va s'ouvrir
- Alors, on prend racine ? interroge Sylvain, qui arrive essoufflé, désinvolte.
Puis, il la regarde, plus désinvolte du tout, les yeux ébahis, le souffle coupé, car c'est exactement ce qu'elle fait.
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