« Minosse non, noserait quand même pas couper le néflier sans nous en parler auparavant. «
Lorsquon a voulu construire la maison, il était déjà là ce petit néflier de rien du tout, en plein au mitan du pré, et on la laissé, on a carrément demandé à larchitecte de changer les plans, afin que la terrasse lencercle sans le toucher, et que le béton ne lempêche pas de croître. On a même ouvert la fenêtre de la chambre de lautre côté afin de ne pas gêner son développement au cas où il aurait entrepris de sétoffer du côté façade
.Cest dire comme on avait été respectueux de cet arbuste chétif qui ne payait vraiment pas de mine. Cest dailleurs pour ça que Minosse est devenu Minosse, il narrêtait pas de se moquer de larbre « il a vraiment mauvaise mine votre arbre » sexclamait il chaque matin en grimaçant et en appuyant exprès sur le mot « mine », en le voyant étirer péniblement ses pauvres branches nues vers le ciel. Cest vrai, larbre restait malingre et faisait peine. Mais il faisait tellement defforts pour atteindre la hauteur du lilas son voisin, quon lui donna sa chance.
Au fil des saisons, il finit par se déployer ce quil fallait pour avoir lair dun bon arbre, avec ses positions insolites et ses petites feuilles drôlement serrées, et cette promesse quun beau jour il donnerait des fruits. Chaque année, il présentait ses armes au milieu de la terrasse, saluant le lilas, se contorsionnant sous le vent en secouant son feuillage comme le vieux chien de Minosse sébrouait en sortant de la rivière.
Minosse opinait : « pauvre prétentieux ! il va finir par nous donner des nèfles celui-là, cest certain » ! Il ny croyait guère bien entendu et lexpression »donner des nèfles » voulait bien dire ce quelle voulait dire ! cest-à-dire nada, pas bezef, rien du tout, des nèfles quoi !!!
Au moins voilà un arbre qui connaissait le sens des mots. Ce nétait pas si mal tout compte fait !
Et on finit par sy attacher, au propre et au figuré, on disposa un petit banc de bois à son pied, que les enfants sapproprièrent comme poteau pour jouer aux indiens et on le scrutait régulièrement avec tendresse pour être sûr de sa bonne composition, et que jamais il ne ferait de mal à lun des petits en laissant tomber malencontreusement une vieille branche rompue de fatigue. Car les années passaient qui le rendait vulnérable. Vénérable aussi, malgré sa petite taille et son manque de splendeur, disait Minosse en se moquant ! Ce qui mettait en rage Eva sa femme et Julie sa belle- sur, si soucieuses de la nature et de la végétation. Toutes deux maugréaient dans une langue très verte dont laccent ne laissait pas de surprendre leurs amis natifs du terroir qui ne juraient que par la France et les français pur jus. Mais Minos qui navait pas, quant à lui, la langue dans sa poche se chargea de les mettre au pli, en leur adressant plus dune fois une belle volée de bois vert , afin de leur apprendre que chez lui la tolérance était de mise !
Si lui pouvait tolérer un néflier sans nèfles eux, les autres, pouvaient tout aussi bien accepter que sa femme et sa belle-sur parl(ass)ent avec laccent suédois, puisquen loccurrence elles venaient de Suède
.le pays des forêts éternelles ça va sans dire
Ce sont elles qui tenaient tant au néflier. Qui prirent cent fois sa défense. » Un arbre qui ne donne pas de fruit nest pas forcément mauvais. Il ne fait certainement pas exprès « ! Minosse obtempérait
.mais bon, dans son for intérieur, il nen pensait pas moins
..
On cacha la hache cet été là. Larbre nétait pas très vaillant et Minosse pestait.
Mais tout de même, plaidait Eva , « quest-ce quil ta fait cet arbre ? pour que tu lui en veuilles donc autant ?? »
Cet arbre songeait Minosse in petto , cétait lespoir quand même
.Il nous a trahi..
« Mais si un malheur survenait et quun jour, le néflier disparaisse, et qu au détour d'un regard , il ne soit plus là, Minosse, ce serait tout lespoir que nous aurions perdu pour de bon ! »
Eva était une sage.
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