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Lapin posé par Jules Félix

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J’avais à peine sept ans et demi. C’était dimanche matin. C’était un jour attendu. Enfin, attendu sans attente. La magie n’existait qu’à la veille de Noël. Pas à ce dimanche de printemps. Réveillés tôt par une sorte de sixième sens, mon frère et moi sortîmes du lit. Les parents dormaient tranquillement. Le dimanche, ils en avaient bien besoin. La veille, nous étions sortis et avions manié la bougie. J’adorais cela. La lumière. Le feu. L’opération devait aller vite. Le mieux était de faire vite. D’être tous les deux seuls, de ne pas être perturbés. Si cela se trouvait, "on" nous avait entendus et "on" attendait que nous ayons fini. Mais nous n’étions pas encore au temps de la réflexion introspective. Nous ne réfléchissions pas si loin. Tout devait aller vite. À toi le buffet de la cuisine, à moi la bibliothèque du salon. Puis le placard aux casseroles. Puis sous les coussins de la banquette. Dans la commode. Dans le four même ! oui ! dans le four ! Mais rien dans le frigo. Ni dans la machine à laver. Sous l’évier peut-être ? Petit à petit, nous accumulions nos petits présents. Un petit sachet de poissons et crustacés en chocolat orange et marron. Un lot de piécettes en chocolat. Un paquet de boules de gomme ou de pâtes de fruit. Des cigarettes en chocolat. Des pipes en sucre. Des œufs en sucre. Une petite poule en chocolat. Un gros lapin en chocolat. Des œufs pralinés. Chocolat au lait ou chocolat noir. Petit à petit, notre butin, amassé sur la banquette en vrac, grossissait à vue d’œil. C’était assez simple de savoir s’il nous en manquait ou pas. Tout était à peu près en deux exemplaires, à quelques détails près. Question d’équité, valeur essentielle. Du coup, nous repartions chercher l’élément manquant des paires incomplètes. Ah, dans le tiroir aux couverts. Et au-dessus du buffet, tu y as pensé ? Et dans une casserole, là, c’était bien caché. Cela durait bien une petite heure. Nous étions excités. Plein de joie. Plein de recherche. Comme ces enfants heureux de répondre aux devinettes. Et sachant qu’ils auront la récompense. Nous faisions le bilan. Nous décomptions. Nous énumérions. Nous listions. Tout était en paires. Tout était déjà divisé en deux petits tas de friandises. Pas d’attente, mais légèreté. C’était chic. Parmi les pompons, nous avions eu quelque chose d’un peu plus intéressant. De moins alimentaire. Un gros œuf découpé dans une chemise en carton, à double paroi pour en faire une pochette dans laquelle il y avait, glissée, une bande dessinée, les Schtroumpfs. Un œuf jaune et un œuf rouge. "Le Schtroumpf noir". Et l’autre, le titre s’est échappé. Peut-être justement "L’œuf et les Schtroumpfs". C’était à ce moment crucial que la porte de la chambre des parents s’ouvrait miraculeusement. L’être qui en sortait souriait et avait dû entendre notre petit manège. Ah non mes enfants, il en manque encore, le sucre d’orge n’a pas encore été découvert. Eh oui, la loi de la paire n’empêchait pas de notre part certaines erreurs : nous pouvions ne pas avoir trouvé les deux éléments d’une paire. Rien n’était sûr. En général, nous étions de bons trouveurs. Mais cette année, c’était un peu différent. Il y avait un cadeau à découvrir dans la chambre des parents. Très vite, nous avions trouvé cela assez mauvais joueur et tricheur. Nous n’allions quand même pas fouiller la chambre des parents pendant qu’ils dormaient. Le cadeau était précieux : notre premier appareil photographique. Un petit pocket sans autofocus, tout simple, de format 110. Nous avions droit aussi à une pellicule de douze poses en couleurs. Les suivantes furent en noir et blanc, cela coûtait bien moins cher (à l’époque). Il suffisait d’appuyer sur le bouton après avoir visé de l’œil, et hop ! clic clac ! le petit oiseau était sorti. Il y avait aussi un flash en cube de quatre ampoules et un petit pied pour relier le cube à l’appareil. Les cubes étaient vendus en boîte de trois. Il devait être neuf heures du matin. Il était temps de nous préparer. Petit-déjeuner, petite toilette du matin et… préparation du déjeuner, car c’était jour de fête. Ce midi, nous recevions grands-parents, arrière-grand-mère, et deux oncles. Ce furent mes premières photographies. Une arrière-grand-mère qui avait dans les quatre-vingt-onze ans. Il lui restait un an et demi à vivre. Les couleurs étaient exagérément vives. La couleur de la banquette propre aux couleurs à la mode de l’époque. L’imagerie d’Épinal était là. C’était la première fois que je mitraillais. C’était une belle cloche que tout cela. Très belle cloche. Merci. 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