Je crois quelle en a assez, Mémère, ses grosses fesses collées à son fauteuil toute la journée. Elle en a assez de crocheter en rond des napperons difformes que Maman jette à la poubelle, une fois terminés. Elle en a assez, déchouer à deviner la silhouette des gens quelle ne reconnaît plus car le diabète lui ronge les yeux : linfirmière matin et soir, le facteur qui lui dit fidèlement bonjour vers 11 heures, lhomme pressé qui dépose le plateau-repas à midi.
Tous les soirs, en rentrant de lécole, je vais la voir dans sa petite maison. Notre grande maison est à lautre bout de la même rue. Je fais mes devoirs à côté delle. Elle écoute les Grosses Têtes et elle rit. Elle dit : Cest le seul bon moment de la journée. Je ne sais pas sil y a la Tête de Pépère parmi les Grosses Têtes. A la radio, on ne voit pas.
Pépère est mort, descendu dans le trou dans une grande boîte en bois. Je voyais à travers le couvercle sa grosse figure, ses yeux fermés, la grimace du côté droit de sa bouche, sa peau bleuâtre, collante et froide. Mémère mavait dit, avant quon referme la boîte où on lavait rangé : Fais-lui un bisou, dis-lui au revoir.
Au revoir ? Je nai pas demandé à Mémère où je le reverrai. Jai touché sa joue avec mes lèvres. Mes lèvres étaient chaudes, sa peau était froide et poisseuse. Maintenant je sais : la vie cest chaud, la mort cest froid.
Depuis que Pépère est mort, elle en a assez, Mémère. Elle dit : Je croyais que je partirais la première. Je lui donne une nouvelle pelote de coton blanc. Elle dit : Celle-là ce sera la dernière. Elle tâte longuement le contour du napperon pour deviner où elle doit piquer son crochet. Elle ne trouve pas. Elle me demande. Je lui montre au hasard. Cest pour cela que ses napperons ont des formes monstrueuses, jamais rondes, et que Maman les jette.
(A suivre)
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