Quantcast
Channel: Les commentaires de Pointscommuns.com
Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

Le rêve du Président par Annaconte

$
0
0
François en était bien conscient. Il se serait bien, et honnêtement, contenté d’une vie toute simple. Il s'étonnait de sa faculté à se satisfaire de peu et paradoxalement de sa volonté de remplir sa vie, en convoquant d’incessants désirs, qui le faisaient avancer vers quelque destin sublime. C’est comme cela qu’il s’était retrouvé investi d’un pouvoir qui risquait fort de le dépasser. Il était ainsi passé du rôle subalterne et ingrat de bras droit –si j‘ose dire- au rôle prestigieux de Chef d’Etat. Comme ça, sans rien trop faire. Jamais même ministre, au jeu de l’oie républicain, il était passé directement de la case Terre à la case Ciel, par un concours de circonstances comme on en voit peu dans l’Histoire. Il refusait d’épiloguer sur ce parcours. Il devrait désormais tirer les marrons du feu et la tâche s’avérait difficile. Il devait se concentrer. Comme avait proclamé le Grand Charles « Le plus difficile n’est pas de sortir de l’X, mais de sortir de l’ordinaire ». Il n’avait pas tort et cela l’angoissait un peu quand même , lui l'Enarque émérite. Avant d’essayer de convaincre les autres, le Président –avant d’être élu- avait du se persuader qu’il était l’homme de la situation, qu’il détenait les meilleures réponses aux problèmes économiques ou sociaux. Heureusement qu’il était doué d’un solide narcissisme, et d’un certain goût pour la compétition et le jeu : il devait par-dessus tout gagner… et donc avait pris en même temps le risque de perdre ! Etre président, il le savait, c’était comprendre les situations, avoir une vision pragmatique du monde de façon à s’adapter rapidement aux événements et y réagir sans précipitation mais efficacité : pour tout cela, même entouré de conseillers, ministres, hauts-fonctionnaires, il serait seul. Il avait beau aimer la solitude des cimes, il savait que ce serait éprouvant. Il se mit alors à songer à Moïse, là-haut sur le Mont Sinaï, recevant les Tables de la Loi de la main même de Dieu dans le fracas du tonnerre et des éclairs, et se surprit à se plaire …Lui aussi infléchirait le sens de son pays, du monde même. Lui aussi laisserait une trace dans l’histoire de la nation. Il se doutait bien qu’à force d’être au centre de tout, parmi des gens qui le couvriraient de louanges et d’illusions, il finirait par perdre le sens des réalités. Et puis, cette ivresse de prendre la parole en public, de la porter officiellement, au nom du peuple tout entier, d’être acclamé, plébiscité, élu. Il lui faudrait se méfier de lui-même, pour ne pas devenir mégalo. C’était le plus grand risque. Que cette toute-puissance ne lui monte à la tête ! C’est arrivé à d’autres et meilleurs que lui… Un bon énarque oui il l'était, un bon père aussi (de ça il était sûr), un bon camarade bien entendu (il en était convaincu) un bon amant (il le découvrait), ne font pas forcément un bon président. Il devrait désormais veiller au grain, tout en faisant preuve d’imagination et de lucidité. Il allait être l’incontournable, l’intouchable. Il lui faudrait être innovant, et ne décevoir personne. Ce serait un défi ! Fallait-il qu'il soit kamikase ou maso ! Il tombait en plein crise (son taux d’adrénaline montait à son paroxysme) et on ne lui ferait aucun cadeau. Il savait déjà qu’il ne pourrait pas tenir toutes ses promesses ! Bruxelles et le FMI se chargeraient bien de le lui faire admettre ! L'énormité du travail qui l'attendait lui donnait des sueurs. Mais il resterait fidèle à lui-même. Il s'y attelerait sans délai. Il saurait cependant que répondre à ceux qui lui poseraient la question « Qu’est-ce qui vous fait courir, Monsieur le Président » ? Non ce n’était pas l’argent comme tous le croyaient. Il avait suffisamment et largement de quoi. Ce n’était pas non plus la puissance et la gloire. Il avait déjà eu sa part de gloriole dans les meetings, il connaissait déjà ce goût amer qui demeure une fois les lumières éteintes. Ce n’était pas non plus l’utopie de changer les choses, ou de sauver le pays, il était conscient qu’il ne serait qu’un rouage au service et à la botte de la finance, l’éternelle gagnante en fin de compte, personne n’est dupe ! Non. Ce dont il rêvait en secret était plus prosaïque que tout cela. Le nouveau Président était un homme simple. Un Champêtre. Un homme de racines avec un peu de terre séchée sur ses chaussures. Un du pays de France. De la véritable France. La profonde. La pacifiste. La tolérante et hospitalière. La toute poétique France. Ce qu’il voulait par-dessus tout, Monsieur le Président, c’était de laisser les voitures de fonction au garage et de prendre le train. Et profiter de son pouvoir tout neuf pour en abuser un peu. Juste un peu. Il rêvait de faire arrêter un jour le convoi en pleine campagne. Comme le sous-préfet des Lettres de mon Moulin d’ Alphonse Daudet, qui las de sa fonction, et fatigué des inaugurations en tous genres qui lui incombait, choisit un beau matin de faire l’école buissonnière, et s’invita dans les champs, au mépris de ses obligations, allant jusqu’à s’y endormir après avoir ôté ses bretelles* ! "Lorsque, au bout d'une heure, les gens de la sous-préfecture, inquiets de leur maître, sont entrés dans le petit bois, ils ont vu un spectacle qui les a fait reculer d'horreur... M. le sous-préfet était couché sur le ventre, dans l'herbe, débraillé comme un bohème. Il avait mis son habit bas... et, tout en mâchonnant des violettes, M. le sous-préfet faisait des vers." Alors, la vie en vers ou en rose ? *(clin d'oeil à Sablaise !!)

Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

Trending Articles