Il survient a l'aube ,un dimanche,cet instant que l'on redoutait.Une funeste sonnerie qui vrille les tympans et accélère le pouls.On se lève précipitement,l'esprit embrumé de songes.
A l'aveuglette,on cherche l'interrupteur,que jaillisse la lumière.Mais déja,dans un recoin du cerveau,un voyant rouge s'est allumé.Trébuchant sur un livre,on finit par décrocher le combiné.
A l'intonation de la voix,la prémonition devient certitude.Un sanglot étranglé,quelques phrases,puis on se prépare.Meme lorsqu'on sait,on est pris au dépourvu.Remiser ses projets immédiats,se vetir de noir,caresser le chat prévoyant,qui lui,s'est deja équipé de sa tenue de deuil,rejoindre un frère.
Dans la voiture,"blue in green",et les inflexions graves de la voix de la chanteuse,tempère très légèrement la tristesse et fait eclore les souvenirs.Ils crèvent a la surface de la conscience,comme les bulles produites par un plongeur.
A la maison des amis sont arrivés pour lui rendre un dernier hommage,et soutenir l'epouse.On s'etreint,le regard embué,conscient soudain de sa disparition irrévocable.Puis on va se recueillir
devant la dépouille.Le visage est serein ,le regard clos,il semble en paix.Le corps a cette rigidité cadavérique qui le fait ressembler a un gisant.Il est encore présent,mais l'esprit l'a quitté.
recueillement et silence.Mais la mort,si effrayante soit elle ,n'hypnotise qu'un instant.Elle nous tient sous son joug,mais la parole ne se laisse pas facilement asservir.
On demande des précisions sur les circonstances du décès,puis on évoque les souvenirs,ces bons moments passés en sa compagnie.On demande des nouvelles des uns et des autres,car certains viennent de loin,d'autres que l'on a pas vu depuis des années.Alors c'est comme s'il était encore la a nos cotés,partageant cette conversation.Chacun y va de son anecdote,soulignant ses qualités de coeur et d'esprit ,et son humour.
Et parfois,l'on rit franchement,au rappel d'un evenement oublié qui affleure a la mémoire.
Alors soudain,on contemple le corps sans vie,et l'on se dit,quelle mauvaise blague il nous a fait.
Toute la journée,et pendant deux jours,les visites et coups de téléphone se succèdent.Quelle épreuve pour l'epouse.Mais membres de la famille,amis et connaissances veulent le saluer une ultime fois ,et lui témoigner leur affection,et leur estime.
Maintenant,il faut régler les formalités afférentes a l'enterrement:Prendre rendez vous avec la mairie pour la concession,et elire l'emplacement.Se rendre aux pompes funèbres,pour choisir le cerceuil.Décider des termes de l'annonce qui paraitra dans la rubrique nécrologique.Conformément a ses convictions ,se sera un enterrement civil,et sobre:Ni fleurs,ni plaques,ni couronnes,excepté les fleurs commandées par la famille.
Au bureau des pompes funèbres,règne un certain désordre.Le lieu est vétuste et pas très solennel.La personne a l'acceuil porte une tenue décontractée,et a le cheveu en bataille.
Pas vraiment la tete du croque mort,et l'on boirait volontiers une bière en sa compagnie,plutot que de finir dedans.On se dit que la faucheuse manque un peu de discernement dans le choix de ses subalternes.
Il y a deja une petite foule qui attend,lorsqu'on arrive au cimetiere.Le corbillard s'est arrété une minute devant la maison de campagne,demeure familiale,ou il aimait séjourner et faire son jardin.Recevoir ses amis et les acceuillir dans la joie d'un repas partagé sous le tilleul,planté par un aieul.
Puis le véhicule repart,pour l'emmener dans sa dernière résidence.On y est.Il y a bien cent cinquante personnes,peut etre plus.Quelle emotion.
On est maintenant tous réuni devant le cercueil,dans la douceur de cette journée lumineuse qui annonce l'automne.
Etrange quai de gare sur lequel on vient saluer le defunt pour son dernier voyage,allé simple.
Queques mots d'affection pour viatique.C'est d'abord son frère qui prend la parole.
La main tremble,et la voix grave et bien posée,est parfois nouée d'un sanglot vite refoulé.Mais l'emoi se propage comme une onde sur l'assemblée.
Il relate l'histoire de la famille ,et le parcours du disparu:L'enfance,fils d'ouvrier.Sa reussite au baccalauréat,dans un milieu qui ne le predisposait pas a aller aussi loin dans les etudes.
Son entrée a l'ecole normale,pour devenir instituteur.Son engagement pour l'ecole et la jeunesse.La rencontre de son epouse ,et son premier poste.La naissance de ses enfants,puis petit enfants.Enfin plus récemment,son combat contre le cancer,qui l'a vaincu.
Puis viennent des souvenirs plus intimes,réminiscence de l'enfance,qui vous tirent des larmes.
Se succèdent deux de ses fils venus dire quelques mots ,témoigner de l'amour qu'ils lui portaient,lire un poème sur l'ecole.
Pour conclure la cérémonie,le maire,l'ami dont il fut l'adjoint de cette petite ville,fait un long discours plus solennel,mais lui aussi emprunt d'emotion.Il relate ces années partagées dans leurs engagements communs pour la vie de la cité.
Voila ,c'est fini.Une vie bien remplie.
On passe devant le cercueil deverser quelques grains de sable,prodiguer un dernier geste.Puis l'on s'egaye,des groupes se forment,on serre des mains.On reçoit avec gratitude des mots de sympathie,et de compassion.Le cercueil est descendu dans le caveau.
C'est une belle journée ensoleillée,un bon jour pour mourir.Dans le ciel quelques cyrrhus annonciateurs de pluie ,voilent légèrement l'azur.S'il pleut suffisement les champignons pousseront.Tu ne seras pas loin pour les cueillir,l'orée du bois est a vingt metres.Des cèpes,des pieds de mouton,des souchettes,des trompettes,peut etre peux tu entendre leur musique desormais.
Et puis tu as une belle vue sur le village,et ses maisons en pierres seches couvertes de tuiles romanes.La dans le creux du vallon coule la Tiarde,tu pourras ecouter son tintement argentin sur les piliers du pont.
il reste encore du monde.Les gens conversent,se retrouvent.De loin ,un observateur etranger a l'evenement pourrait croire qu'il s'agit d'une fete champetre,et par association d'idées ,se souviendrait d 'un tableau de Brueghel.
Ami,si tu viens a passer par ce village de charente,arrete toi un instant.Penetre dans le petit cimetiere signalé par un cyprès.La sur la droite,il y a la sépulture de mes grand parents.Plus loin,dans la partie récente,recueille toi sur cette tombe fraichement creusée.Tu peux fredonner une chanson,réciter un poème,ou soliloquer.Lui aussi ,souvent parlait tout seul,comme s'il poursuivait une conversation avec un ami invisible a nos yeux.Adresse lui une pensée de ma part.
Quant a moi ,je vais repartir le coeur lourd,la démarche plus pesante,comme l'escargot de Prévert.Je ne savais pas que l'absence d'un etre cher puisse peser autant.Adieu
Repose en paix mon père.
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