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Gueules de Loire par Brian K

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Il aimait se lever tôt, bien plus tôt que la plupart des gens qu’il connaissait, et c’était chez lui un trait de caractère qui ne pouvait plus changer. L’habitude était ancrée en lui depuis ses années de jeunesse. Dès son premier trimestre à l’université, il avait réglé la sonnerie du réveil à six heures – un vieux réveil mécanique, le même qui maintenant encore se trouvait toujours sur sa table de chevet, inusable et démodé. A l’époque, l’unique fenêtre de sa chambre d’étudiant donnait sur l’escalier un peu trop monumental du Musée des Sciences ; très tôt les matins d’hiver, il manquait rarement d’observer la salle des reptiles avec son éclairage d’un bleu délicat, très doux. Un étage au dessus, d’épais rideaux tirés en permanence signalaient la section égyptienne. Tout ce qui lui restait de ce temps-là, outre un vieux pot à crayons, c’était le réveil. Un appareil vénérable qui pouvait avoir cinquante, peut-être soixante ans, et dont pas une seule pièce n’avait été changée. Il le remontait une ou deux fois par mois, dans l’unique but d’entendre le tic-tac, car il trouvait que ce son-là habillait admirablement les pièces et avait une note accueillante lorsqu’il rentrait du travail le soir. Il ne remontait jamais la sonnerie, mais il aimait bien entendre le déclic qui se produit lorsque l’aiguille des heures vient se positionner sur celle qui indique l’heure du réveil. Ce bruit-là, il lui arrivait parfois de l’attendre, de le guetter comme un signe de ponctuation particulier dans la journée. A de rares exceptions, les objets nouveaux ne lui inspiraient aucune sympathie. L’ordinateur, le téléphone portable, il avait attendu la dernière limite pour s’en équiper. Il en allait de même pour internet, ce grand système de vases communicants ouvert jour et nuit qu’il considérait comme une sorte de cloaque de données. Eté comme hiver, il se levait tôt parce que la ville avait une respiration et une tranquillité qu’il trouvait fascinantes. En novembre, lorsque les matins étaient sombres et pluvieux, il allait souvent à pied jusqu’à la Butte Sainte Anne sans croiser plus d’un passant – lorsqu’il apercevait quelqu’un, c’était presque toujours un retraité qui promenait son chien ou une femme de ménage. De la butte, il regardait la Loire couler et les remous se former à la jonction des deux bras, juste au pied de la grue Titan. Parfois, à cause du brouillard, les quais de Trentemoult disparaissaient presque entièrement et c’est à peine si on devinait les contours des maisons, ou même une lueur, comme si elles avaient des secrets ou des choses à cacher. Il ne restait jamais bien longtemps sur place, seulement quelques minutes, voire un quart d’heure les jours de tempête, et il se faisait souvent la réflexion que le temps s’écoulait au ralenti lorsqu’il observait le fleuve. Invariablement, sur le chemin du retour, il réfléchissait et n’empruntait jamais le même trajet d’un jour à l’autre pour tromper la monotonie. Lorsqu’il revenait de la butte, par exemple, il obliquait toujours sur la gauche une fois parvenu Place Lechat car rien ne l’ennuyait autant que devoir redescendre le Boulevard Saint Aignan en ligne droite. A dire vrai, il marchait surtout entre les mois d’octobre et de février, où les nuits plus longues l’aidaient à mettre de l’ordre dans ses pensées. Dès mars, à cause de la lumière matinale, il se savait plus visible, exposé, et c’était quelque chose qu’il préférait éviter dans la mesure du possible, car il avait tendance à réfléchir à voix haute tout en marchant, à faire des gestes comme quelqu’un qui assemble mentalement des formules géométriques, et alors en l’observant on pouvait déjà avoir une certaine idée du métier qu’il exerçait. Une idée vague, bien sûr, mais déjà bien trop précise à ses yeux.

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