Il aimait se lever tôt, bien plus tôt que la plupart des gens quil connaissait, et cétait chez lui un trait de caractère qui ne pouvait plus changer.
Lhabitude était ancrée en lui depuis ses années de jeunesse. Dès son premier trimestre à luniversité, il avait réglé la sonnerie du réveil à six heures un vieux réveil mécanique, le même qui maintenant encore se trouvait toujours sur sa table de chevet, inusable et démodé.
A lépoque, lunique fenêtre de sa chambre détudiant donnait sur lescalier un peu trop monumental du Musée des Sciences ; très tôt les matins dhiver, il manquait rarement dobserver la salle des reptiles avec son éclairage dun bleu délicat, très doux. Un étage au dessus, dépais rideaux tirés en permanence signalaient la section égyptienne.
Tout ce qui lui restait de ce temps-là, outre un vieux pot à crayons, cétait le réveil. Un appareil vénérable qui pouvait avoir cinquante, peut-être soixante ans, et dont pas une seule pièce navait été changée. Il le remontait une ou deux fois par mois, dans lunique but dentendre le tic-tac, car il trouvait que ce son-là habillait admirablement les pièces et avait une note accueillante lorsquil rentrait du travail le soir.
Il ne remontait jamais la sonnerie, mais il aimait bien entendre le déclic qui se produit lorsque laiguille des heures vient se positionner sur celle qui indique lheure du réveil. Ce bruit-là, il lui arrivait parfois de lattendre, de le guetter comme un signe de ponctuation particulier dans la journée.
A de rares exceptions, les objets nouveaux ne lui inspiraient aucune sympathie. Lordinateur, le téléphone portable, il avait attendu la dernière limite pour sen équiper. Il en allait de même pour internet, ce grand système de vases communicants ouvert jour et nuit quil considérait comme une sorte de cloaque de données.
Eté comme hiver, il se levait tôt parce que la ville avait une respiration et une tranquillité quil trouvait fascinantes. En novembre, lorsque les matins étaient sombres et pluvieux, il allait souvent à pied jusquà la Butte Sainte Anne sans croiser plus dun passant lorsquil apercevait quelquun, cétait presque toujours un retraité qui promenait son chien ou une femme de ménage. De la butte, il regardait la Loire couler et les remous se former à la jonction des deux bras, juste au pied de la grue Titan. Parfois, à cause du brouillard, les quais de Trentemoult disparaissaient presque entièrement et cest à peine si on devinait les contours des maisons, ou même une lueur, comme si elles avaient des secrets ou des choses à cacher.
Il ne restait jamais bien longtemps sur place, seulement quelques minutes, voire un quart dheure les jours de tempête, et il se faisait souvent la réflexion que le temps sécoulait au ralenti lorsquil observait le fleuve.
Invariablement, sur le chemin du retour, il réfléchissait et nempruntait jamais le même trajet dun jour à lautre pour tromper la monotonie. Lorsquil revenait de la butte, par exemple, il obliquait toujours sur la gauche une fois parvenu Place Lechat car rien ne lennuyait autant que devoir redescendre le Boulevard Saint Aignan en ligne droite.
A dire vrai, il marchait surtout entre les mois doctobre et de février, où les nuits plus longues laidaient à mettre de lordre dans ses pensées. Dès mars, à cause de la lumière matinale, il se savait plus visible, exposé, et cétait quelque chose quil préférait éviter dans la mesure du possible, car il avait tendance à réfléchir à voix haute tout en marchant, à faire des gestes comme quelquun qui assemble mentalement des formules géométriques, et alors en lobservant on pouvait déjà avoir une certaine idée du métier quil exerçait. Une idée vague, bien sûr, mais déjà bien trop précise à ses yeux.
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