- Oh Maman, tu as préparé de la langue de buf en gelée ! Tu sais que je déteste ce machin, tu en as préparé pour toute la semaine ?
- Florence tu le sais, ton père adore ça, il faut bien que je lui fasse plaisir de temps en temps tu ne penses pas ?
Maman était une excellente cuisinière. Sa spécialité nétait pas le buf bourguignon ou le poulet basquaise, mais les recettes dEurope Centrale, avec une prédilection pour celles de la cuisine yiddish.
Elle est arrivée de Pologne dans les années 30. Dans la modeste cuisine de la rue Amelot, ma grand-mère lui apprenait ses secrets de cordon bleu. Une transmission ancestrale parvenue à ma vie de petite fille parisienne.
La famille et les amis adoraient son gâteau au fromage : je me souviens avec émotion de ses yeux brillants de fierté lorsque les compliments fusaient de toute part.
Pour la fête de Pessah, Maman se surpassait : carpe farcie, bouillon de poule accompagné de locksen, de kneidlers, sans oublier les cornichons Malossol. Le tout fait maison ! Lors de cette première soirée de fête nommée le Seder - préparation sans farine ni levain - la maisonnée embaumait darômes épicés.
Un jour, je devais avoir 5 ou 6 ans et jentrouvre en douce la porte du réfrigérateur. Je mapprête à chiper une part de strüdel à la cannelle, quand je suis saisie par une odeur répugnante. Imaginez des fruits avariés mixés avec de la térébenthine ! Sur mon visage se dessine alors une horrible grimace : berk berk berk ! Je claque la porte du réfrigérateur aussitôt !
Curieuse de nature, je la rouvre quelques instants après. Sur la largeur dune étagère, trône un plat ovale en grès où tremblote une masse grise et molle. Cet aspect gélatineux me révulse encore plus : « ça se mange ce truc ou cest pour une bouillie pour le chien ? Me dis-je en me pinçant le nez.
Je devine que Maman nous proposera cet Alien culinaire en plat principal. A la table du déjeuner, il faut vite trouver une excuse : je dis à mes parents avec un regard implorant que je nai pas très faim. Je me contenterais ce jour là dune entrée et dun dessert. Sauvée pour cette fois, ouf !
Des dizaines dannées ont passé, mais il est hors de question que je mange une langue de buf en gelée, même préparée par Paul Bocuse !
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