Elle commença par les plus hautes, celles quelle avait négligé darracher et qui avaient prospéré, un peu comme ces pensées germinantes qui revenaient sans cesse comme une radio impossible à éteindre. Ces pensées ne laidaient pas, et elle se reprochait de les avoir laissées grandir, comme ces vesces quelle avait pris pour des pois de senteurs, ou ces matricaires quelle avait confondu avec des marguerites. A partir de quand ne faut il pas accepter ? se demandait elle, le premier regard de lautre échangé avec une vendeuse innocente,le premier mot blessant ou lapparition de ces bourgeonnements parsemés, souvent cachés derrière les arbustes et qui, par la suite occupaient le terrain? tous les gestes et les situations apparemment anodines, mais quà force de laisser faire, les avaient emportés jusquà cette jungle de sentiments mêlés, à ces liserons quotidiens dont il aurait fallu arracher la racine, sous peine de prolifération, et à ces séneçons, les « je sème à tout vent » dont se targuait un dictionnaire qui ignorait sans doute langoisse que lon a à les voir se pavaner dans son jardin, ces je ne suis pas, je ne vaux pas, je pars dans le vent, dans nimporte quel vent, je nexiste pas, tous ces gestes, toutes ces situations serinantes, elle sen rendait compte à présent, nétaient justement pas elle.
Elle se souvint soudain dun groupe de jeunes, courant, montant sur les tables dun bistrot déserté par la peur, se tapant les chaises lun sur lautre, possédés par la violence, héros grecs dune quelquonque colère, tout entiers dans leurs racines de haine, haine sans doute héritée et qui ressortait soudain, faute de savoir jouir, la haine ordinaire, la chose la plus simple, écraser un escargot, aplatir celui qui semble vous mettre en péril parce quil a émis une opinion que vous ne comprenez pas, la haine simple, en quelque sorte pure, qui vous fait écrabouiller lautre, le terrasser, et lui donner de plus un bon coup dans le ventre ;la haine qui impressionne ladversaire, tout ce qui nest pas nous, tous les autres, la haine qui se propage, car un vide sétait formé autour deux, la peur gagnant, putain , si ça marrive à moi et à mes gosses, la haine basée sur lignorance, je ne sais pas, je ne comprends pas, je ne sais que tuer, cette haine senracinait comme mauvaises herbes, et cétait bien ce mélange de colère et de bêtise quelle jugeait inacceptable pour sa vie même, écartant tout échec et dénonçant l intolérable acceptation, pour faire un pas vers elle même.
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