Elle a cueilli des centaines de feuilles sur un saule pleureur, les a cousues et sest fait une robe trapèze.
Ensuite, elle sest fabriquée un collier de chupa chups que les enfants samusent à lui arracher, ça lénerve alors elle dit : les enfants, cest ma tenue de mariée, vous arrêtez IMMEDIATEMENT de bouffer mon collier.
Elle a confectionné une traîne de petits nuages sur lesquels elle mettra ses enfants durant la noce qui a lieu dans une semaine à Ouagadougou, Burkina Faso.
Chez elle, elle est entourée dhommes noirs à la peau souple et brillante : ce sont ses liseurs.
Cest une gourmande de fantaisies littéraires et de fantaisies tout court, et elle nest jamais plus heureuse que lorsquon lui apporte une énormité, une extravagance, une excroissance du destin, un grain de sable dans une machine trop bien huilée, une tête à lenvers, un homme à la tête de chou ou un mot quon a dérouté des grandes artères du sens commun.
Elle a souvent ses papillons. Ainsi les enfants nomment ils ses tentatives pour échapper aux jours ordinaires.
et dailleurs voici son dernier papillon : elle part se marier à Ouagadougou.
- A Ouagadougou ?? hurlent les enfants
Ses enfants trouvent ça à moitié drôle. Ils ne savent pas trop à quel degré dhumour il faut situer ce morceau davenir quelle vient de suspendre au plafond pour faire venir les jours heureux, comme un ruban tue lennui.
Elle en est capable, elle est très très capable daller se marier en Afrique avec un fiancé dune semaine.
- Jen suis tout à fait capable.
(Elle confirme)
- Elle est incapable de faire une chose pareille, il y a les enfants.
Son ex mari fouette quand même un peu à chaque fois quelle a ses papillons.
Elle sest fabriquée des socquettes avec des vers luisants mais après sêtre regardée dans la glace elle a trouvé que ça jurait avec le reste, ce nest pas une enfant, cest une reine, cest une montagne daffection, un gouffre de sensualité, elle a lénergie de la lune qui fait danser la mer de haut en bas, de bas en haut, dans un mouvement de balancier constant qui berce et repose. Le calme de ses yeux maintient lhorizon en équilibre ; elle tient le monde dans ses mains, tandis quà ses pieds des chiens oreillers délicatement parfumés dorment et ronflent en permanence, garantissant au royaume son immuabilité.
De temps en temps, elle claque des doigts. Arrive un liseur qui lui effeuille quelques mots rares et capiteux.
Si les pages sont de bonnes qualité, elle vacille démotion et lui dit que cest merveilleux, que lui même est une pure merveille, et le liseur et la reine vont saimer dans les vagues, ou sil ny a pas de vagues, sur le canapé à droite en entrant dont les lattes nont pas résisté aux derniers émerveillements et qui sest affaissé, formant le V d'une victoire à chaque fois recommencée.
Cest comme ça quelle a rencontré son futur, son grand aventurier des continents noirs, celui quelle doit épouser à Ouagadougou.
Cétait un liseur aux dents blanches comme les nuits quelle passera bientôt à son bras. Il aimait les tomates cerises vertes et les caramels mous. La reine a craqué aux premiers échanges.
Les chaussures.
- Je ne vais quand même pas y aller pieds nus.
Les sandales, les tongues, les baskets, on voit tout ça sortir du placard à chaussures et passer par dessus le balcon.
La reine a une main qui voit loin.
- Les enfants, soyez gentils, allez me chercher des brindilles.
Elle prend les brindilles quelle peint avec du jaune d uf et des olives noires, les colle sur une vieille paire de grolles pourries et ça fait des chaussures buissonnières prêtes à partir à Ouagadougou. Au bout des chaussures elle a planté deux petits drapeaux sur lesquels elle a écrit M'nonga fô, ça veut dire je taime à Ouagadougou.
Elle trouve que cest joli, elle les essaie avec la robe en feuilles de saule, vire les chupa, les remplace par des petits éclats de miroirs. Elle dit que ça reflète des bouts dexistences et quelle peut voir les yeux des hommes qui lui parlent en regardant ses seins.
Claque à nouveau des doigts.
Arrive un liseur
Saveur des mots sur la langue.
Rit aux éclats, ça fait comme des perles sur une peau de tambour, cascade de galets mouillés en chute libre, pluie de sable dans un tuyau de bambou.
Attend le départ.
En principe cest pour dans trois jours. Les textos se succèdent :
- ma beauté, dans trois jours
Elle est toute en douceur.
- ma beauté, dans deux jours
Elle est toute en rondeur
- ma beauté, dans un jour
Elle est toute en pâleur
Attend la suite qui devrait être ma beauté, dans quatre heures,
ma beauté dans une heure, ma beauté, maintenant.
Qui ne vient pas.
Elle est toute en douleur
Sétend dans sa robe de saule, ses miroirs regardent ses larmes tomber autour du cou.
Remet ses socquettes en vers luisants puis ses chaussures brindilles.
- Men fous. Ça tient chaud, ça éclaire la nuit, cest vert, vert cassé daccord, mais vert quand même
Elle est toute en turbomoteur
Puis sendort en souriant dans sa parure en saule, ses enfants dans ses bras, en attendant ses prochains papillons.
Toute en papillons.
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