Quantcast
Channel: Les commentaires de Pointscommuns.com
Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

Portrait d'une femme au moment de ses papillons par Tcherenkov

$
0
0
Elle a cueilli des centaines de feuilles sur un saule pleureur, les a cousues et s’est fait une robe trapèze. Ensuite, elle s’est fabriquée un collier de chupa chups que les enfants s’amusent à lui arracher, ça l’énerve alors elle dit : les enfants, c’est ma tenue de mariée, vous arrêtez IMMEDIATEMENT de bouffer mon collier. Elle a confectionné une traîne de petits nuages sur lesquels elle mettra ses enfants durant la noce qui a lieu dans une semaine à Ouagadougou, Burkina Faso. Chez elle, elle est entourée d’hommes noirs à la peau souple et brillante : ce sont ses liseurs. C’est une gourmande de fantaisies littéraires et de fantaisies tout court, et elle n’est jamais plus heureuse que lorsqu’on lui apporte une énormité, une extravagance, une excroissance du destin, un grain de sable dans une machine trop bien huilée, une tête à l’envers, un homme à la tête de chou ou un mot qu’on a dérouté des grandes artères du sens commun. Elle a souvent ses papillons. Ainsi les enfants nomment ils ses tentatives pour échapper aux jours ordinaires. et d’ailleurs voici son dernier papillon : elle part se marier à Ouagadougou. - A Ouagadougou ?? hurlent les enfants Ses enfants trouvent ça à moitié drôle. Ils ne savent pas trop à quel degré d’humour il faut situer ce morceau d’avenir qu’elle vient de suspendre au plafond pour faire venir les jours heureux, comme un ruban tue l’ennui. Elle en est capable, elle est très très capable d’aller se marier en Afrique avec un fiancé d’une semaine. - J’en suis tout à fait capable. (Elle confirme) - Elle est incapable de faire une chose pareille, il y a les enfants. Son ex mari fouette quand même un peu à chaque fois qu’elle a ses papillons. Elle s’est fabriquée des socquettes avec des vers luisants mais après s’être regardée dans la glace elle a trouvé que ça jurait avec le reste, ce n’est pas une enfant, c’est une reine, c’est une montagne d’affection, un gouffre de sensualité, elle a l’énergie de la lune qui fait danser la mer de haut en bas, de bas en haut, dans un mouvement de balancier constant qui berce et repose. Le calme de ses yeux maintient l’horizon en équilibre ; elle tient le monde dans ses mains, tandis qu’à ses pieds des chiens oreillers délicatement parfumés dorment et ronflent en permanence, garantissant au royaume son immuabilité. De temps en temps, elle claque des doigts. Arrive un liseur qui lui effeuille quelques mots rares et capiteux. Si les pages sont de bonnes qualité, elle vacille d’émotion et lui dit que c’est merveilleux, que lui même est une pure merveille, et le liseur et la reine vont s’aimer dans les vagues, ou s’il n’y a pas de vagues, sur le canapé à droite en entrant dont les lattes n’ont pas résisté aux derniers émerveillements et qui s’est affaissé, formant le V d'une victoire à chaque fois recommencée. C’est comme ça qu’elle a rencontré son futur, son grand aventurier des continents noirs, celui qu’elle doit épouser à Ouagadougou. C’était un liseur aux dents blanches comme les nuits qu’elle passera bientôt à son bras. Il aimait les tomates cerises vertes et les caramels mous. La reine a craqué aux premiers échanges. Les chaussures. - Je ne vais quand même pas y aller pieds nus. Les sandales, les tongues, les baskets, on voit tout ça sortir du placard à chaussures et passer par dessus le balcon. La reine a une main qui voit loin. - Les enfants, soyez gentils, allez me chercher des brindilles. Elle prend les brindilles qu’elle peint avec du jaune d ‘œuf et des olives noires, les colle sur une vieille paire de grolles pourries et ça fait des chaussures buissonnières prêtes à partir à Ouagadougou. Au bout des chaussures elle a planté deux petits drapeaux sur lesquels elle a écrit M'nonga fô, ça veut dire je t’aime à Ouagadougou. Elle trouve que c’est joli, elle les essaie avec la robe en feuilles de saule, vire les chupa, les remplace par des petits éclats de miroirs. Elle dit que ça reflète des bouts d’existences et qu’elle peut voir les yeux des hommes qui lui parlent en regardant ses seins. Claque à nouveau des doigts. Arrive un liseur Saveur des mots sur la langue. Rit aux éclats, ça fait comme des perles sur une peau de tambour, cascade de galets mouillés en chute libre, pluie de sable dans un tuyau de bambou. Attend le départ. En principe c’est pour dans trois jours. Les textos se succèdent : - ma beauté, dans trois jours Elle est toute en douceur. - ma beauté, dans deux jours Elle est toute en rondeur - ma beauté, dans un jour Elle est toute en pâleur Attend la suite qui devrait être ma beauté, dans quatre heures, ma beauté dans une heure, ma beauté, maintenant. Qui ne vient pas. Elle est toute en douleur S’étend dans sa robe de saule, ses miroirs regardent ses larmes tomber autour du cou. Remet ses socquettes en vers luisants puis ses chaussures brindilles. - M’en fous. Ça tient chaud, ça éclaire la nuit, c’est vert, vert cassé d’accord, mais vert quand même Elle est toute en turbomoteur Puis s’endort en souriant dans sa parure en saule, ses enfants dans ses bras, en attendant ses prochains papillons. Toute en papillons.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

Trending Articles