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le Bon Usage des Insecticides naturels et liqueurs fortes par Brian von Roberts

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Alors qu’il avait fini par décider de ne rien faire de tout cela, ni travailler ni réfléchir en aucune façon que ce soit, ce qui après tout est légitime un quatorze juillet, c’est le contraire qui se produisit. Il s’était mis au lit, avec les gestes un peu secs et routiniers qu’ont les célibataires et en pensant qu’il n’avait rien de plus utile à faire. Difficile de s’endormir tout de suite, à cause de la chaleur emmagasinée dans l’appartement. Fenêtre ouverte ou fenêtre fermée cela revenait au même mais il préférait ouverte, pour écouter au loin les bruits de la ville qui étaient toujours discrets en été. La chambre sentait l’essence de citronnelle, qui repoussait plus efficacement les moustiques que les traditionnelles oranges percées de clous de girofle. Citronnelle, cela l’amenait à repenser aux remèdes de bonne femme qu’employait sa grand-mère. Les frictions au camphre pour les contusions, le vaseline goménolée pour désencombrer le nez, en guise de fortifiant la quitonine avec son goût amer - à chaque mal sa solution de fortune. L’été, pour éviter que les guêpes entrent dans la maison, elle disposait un peu partout dans le jardin des petits flacons de verre remplis d’un fond d’eau sucrée, de sic orange ou de pschitt citron, trois ou quatre centimètres pas plus. Elle lui avait expliqué que les guêpes trouvaient toujours l’entrée du flacon mais jamais la sorti car elles finissaient noyées par gourmandise. Dans l’ensemble, la méthode donnait de bon résultats : les guêpes jugeaient qu’il y avait du sucre en abondance dans le jardin et ne voyaient donc pas d’intérêt spécial à entrer dans la maison. Un été cependant cela avait failli très mal tourner. Elle avait dû forcer la dose ou verser dans les flacons une mixture savoureuse particulièrement attirante, un mélange qui leur avait tellement plu qu’elles avaient fini par construire leur nid dans le jardin, tout près de la maison au pied du dahlia rose. Elle avait bien vu l’entrée du nid, et pensait qu’il suffirait d’y verser un peu d’eau bouillante pour les étourdir. C’est précisément ce qu’elle était en train de faire au moment où il était arrivé, elle tenait encore la bouilloire à la main, et quelle chance inouie elle avait eue car s’il n’était pas venu lui rendre visite ce jour-là elle aurait sans doute continuer à verser sans voir l’essaim qui arrivait dans son dos. Dix guêpes d’abord, puis le double, elles venaient de toutes parts, mauvaises, puis... Est-ce qu’il ne lui avait pas sauvé la vie en lui disant de lâcher sa bouilloire et en la tirant de force à l’intérieur de la maison ? Sur le moment il ne s’était pas posé la question mais maintenant il se disait que oui, peut-être, parce qu’elle s’en était tirée à bon compte, sans une piqûre - un miracle. En fin de compte, les remèdes de bonne femme l’avaient fait tenir longtemps. On pouvait dire qu’elle avait eue une belle vieillesse, une vieillesse de petite dame à la silhouette mince et fluide, qui mangeait raisonnablement et buvait peu - de temps en temps un verre de Bénédictine ou de Chartreuse le dimanche. Des malaises passagers, elle en avait bien quelques uns. Lorsqu’elle descendait faire ses provisions au village, elle n’oubliait jamais de mettre dans son cabas noir un sucre enveloppé dans un mouchoir et un flacon de liqueur spéciale contre les vertiges. Et bien sûr elle faisait de même en allant à la messe, sauf que le flacon, chaque dimanche matin, elle le mettait alors dans son sac à main. La liqueur, elle s’en était servi pour la dernière fois l’après-midi d’un premier septembre, l’année où il rentrait à l’université, précisément la veille du jour des inscriptions. Elle remontait du village à pied. C’était juste en bas de la côte, cent mètres de plus et cela se serait produit chez elle. Il était tout seul chez ses parents ce jour-là, la fermière devant chez qui c’était arrivé était venue le prévenir en 4L et avalait la moitié de ses mots - le reste du temps aussi on avait du mal à la comprendre tant elle avait un débit tmportant mais là c’était pire, une crue de paroles et en plus elle pleurait. On attendait les secours, c’était l’heure où les gens rentraient de la plage, une voisine qui en arrivait justement lui avait glissé une serviette de bain pliée sous la tête, pour que ce soit moins dur. Elle se trouvait allongée sur le dos dans la position même où elle était tombée, le visage reposé comme si elle faisait la sieste. Elle avait quand même dû sentir le malaise arriver parce qu’elle avait eu le réflexe de déboucher la flacon. Elle le tenait encore dans la main, le sucre était tombé sur la route en se cassant en deux morceaux et quelqu’un lui avait tendu le mouchoir qui s’était envolé dans un buisson quelques mètres plus loin. C’était trois semaines après l’épisode des guêpes. Il n’avait pas eu de chagrin parce que la mort avait frappé vite et bien, et parce que sa vraie vie à lui était sur le point de commencer.

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