Huit années sétaient écoulées depuis mai 68.
Nos élans révolutionnaires étaient retombés, nous avions compris à quelle sauce la société allait nous manger et quitte à être mangés nous nous voulions plat de résistance.
Nous résistions à tout en bloc: à la consommation, à léducation traditionnelle, au couple et au monde du travail, car à cette époque il y avait encore du travail.
La consommation
On ne parlait pas encore de décroissance mais du matin au soir le plus naturellement du monde nous consommions le moins possible.
Les filles faisaient lannée avec deux jeans, deux tuniques de cotonnade indienne et pour les mois froids deux gros pulls tricotés main avec de la laine de récupération. Aux pieds la même paire de sabots faisait lhiver avec chaussettes, et lété sans. Un peu de henné sur les cheveux et de khôl pour souligner les yeux , il nen fallait pas plus pour être belles.
Pour les hommes et les enfants cétait pareil moins le henné et le khôl. Pas de frais de coiffeur, on raccourcissait nous-mêmes nos cheveux longs.
On habitait tous dans des maisons sans grand confort meublées avec des caisses en bois et des blocs de mousse recouverts de tissus indiens où flottait un léger parfum dencens et on roulait dans des vieilles dodoches bricolées de partout.
La nourriture était simple et très saine. Il ny avait quun médicament pour tous les maux : largile en potion, pommade ou cataplasme.
Léducation traditionnelle
Beaucoup nétaient pas mariés, certains comme moi létaient mais pas question de se replier sur sa petite cellule. On ne vivait pas vraiment en communauté mais on était toujours fourrés les uns chez les autres et on soccupait ensemble le jour dune bande denfants qui avaient lâge de la maternelle mais ne la fréquentaient pas.
Nous avions tous lu « Libres enfants de Summerhill » et voulions plus tard une école différente pour nos enfants, en attendant nous les élevions avec le moins de contrainte possible. Pour ceux dentre nous qui mettaient quand même certaines limites, ce nétait pas toujours facile daccepter que les enfants des autres nen aient pas.
Je me souviens dun petit bonhomme à tignasse blonde qui avait entrepris de tartiner sa purée sur toutes les meubles de ma maison et de ses parents mempêchant de « freiner son élan créateur ». Ensuite, lorsquil sétait emparé dune de mes bandes dessinées et lavait déchirée en me regardant bien en face, ses parents souriants mavaient obligeamment informée quil cherchait à me dire quelque chose
Le couple
Notre groupe était essentiellement formé de couples même sil y avait toujours un ou deux invités surprise ramassés en stop ou qui débarquaient à limproviste, mais de couples où chacun se voulait libre et là aussi ce nétait pas toujours facile à vivre.
Car une chose était admettre en théorie que son mec ou sa nana était parfaitement libre daller voir ailleurs, ce sur quoi nous étions tous daccord.
Une autre était de garder bonne contenance quand laimé au cours dune soirée vous tournait le dos et nen finissait plus de sintéresser à sa voisine et que, pour finir, ils vous annonçaient tous les deux avec un sourire désarmant quils avaient décidé de passer la nuit ensemble et quittaient la pièce.
Pour être en accord avec vos idées vous arriviez à vous fendre dun sourire en retour et à garder la face devant les autres mais quand vous vous retrouviez seul(e) dans votre chambre, ce nétait plus drôle du tout.
Le travail
On en trouvait encore facilement et on pouvait quitter le sien dès quil vous lassait, ce qui arrivait généralement assez vite.
Dans notre groupe les filles prenaient un travail lorsque la situation devenait critique et le gardaient le temps damasser une petite provision qui garantisse quelques mois peinards.
Les hommes pointaient au chômage et soccupaient des enfants, parfois ils achetaient une masure en ruine et travaillaient ensemble à la retaper, puis la revendaient en faisant un bénéfice.
Il y a prescription donc je peux ajouter que pour certains la fauche apportait un appoint non négligeable, ils fauchaient de la nourriture, des vêtements, des matériaux de construction sur les chantiers mais aussi parfois du superflu.
Je me souviens dun jour particulier, cétait mon anniversaire. Une joyeuse bande venait darriver avec un coffre plein de denrées, de bouteilles et de cadeaux tous de provenance douteuse et, comme je les accueillais dehors, jai vu arriver à pied un dernier invité hilare portant le portemanteau perroquet de lANPE quil venait de subtiliser pour me loffrir.
Comme dhabitude la soirée avait dû être animée et se prolonger par dinterminables discussions, une fois les enfants couchés un peu partout sur des matelas de fortune. Peut-être est-ce ce soir là que nous avons décidé de partir tous ensemble vers le Sud
A suivre : Rêve et réalité des seventies (la réalité)
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