Le soir lorsque les enfants étaient endormis, nous parlions jusquà plus dheure de vivre en communauté, au vert, et de sortir ensemble de la société du fric et de lindividualisme.
Petit à petit le projet prenait forme, cétait dans le Sud que nous voulions créer une petite structure collective et solidaire et tout partager, le travail, les loisirs, léducation des enfants.
Dabord il faudrait trouver un village en ruines abandonné qui se vendrait pour une bouchée de pain et lacheter en réunissant nos petits moyens et en empruntant le reste.
Ensuite il faudrait vivre quelque temps comme nous le faisions déjà, les filles trouveraient des petits boulots et les hommes retaperaient les maisons du village.
Quand les maisons seraient en état on se lancerait tous dans le travail agricole pour atteindre lautosuffisance et vendre le surplus à lextérieur.
Il était surtout question délever des chèvres, de fabriquer du fromage artisanal et de produire des
cornichons.
Je crois que nous létions un peu cornichons, nous, à vouloir nous transformer du jour au lendemain en agriculteurs alors quaucun dentre nous ne venait de ce milieu et que nous avions tous fait des études
mais nous y croyions ferme.
Plusieurs sont partis en éclaireurs et ont trouvé le village idéal au fin fond du Lot et Garonne.
Il fallait se décider très vite et cest à ce moment que mon mari et moi nous avons fait marche arrière. Je crois quil navait pas vraiment envie de retaper des maisons ni de travailler la terre ni de quitter sa Vendée natale. De mon côté javais un peu soupé de la vie de communauté et, au risque de passer pour petite bourgeoise, je ne me trouvais pas si mal dans mon sweethome avec ma petite famille.
Et puis lun comme lautre nous avions un mauvais pressentiment.
Le moment venu, tous les autres sont partis et cela nous a fait un peu mal au cur mais nous avons su très vite que nous avions fait le bon choix.
Au village chacun était propriétaire de sa maison mais lidée était que tous travailleraient à tour de rôle sur chaque maison. Il en a été ainsi quelque temps puis sont apparus les premiers conflits parce que chacun ne travaillait pas au même rythme ni avec la même efficacité et les plus performants se sentaient lésés. Ils on commencé par protester « ce nest pas juste, quand tu viens travailler une journée sur ma maison tu fais ce que je fais en une demi-journée quand je vais travailler sur la tienne » et ils ont fini par refuser daller travailler les uns chez les autres.
Ainsi prit fin le rêve collectif et égalitaire et chacun se retrouva à retaper seul sa maison.
Les relations libres entre hommes et femmes ne tardèrent pas à non plus à faire éclater les couples et à semer la zizanie.
Quand je suis allée leur rendre visite, peut-être deux ans plus tard, j'ai trouvé un village où chacun vivait replié chez soi et où certains ne sadressaient même plus la parole.
Je n'y suis jamais retournée.
Ensuite ce fut la dégringolade.
La culture et lélevage savéraient pénibles et peu rentables et il fallait absolument trouver du travail à lextérieur. Mais le Lot et Garonne nétait pas un département touristique en pleine expansion comme la Vendée et il y avait très peu de possibilités en matière demploi.
Les conditions de vie devenaient de plus en plus difficiles et certains voulaient repartir.
Seulement au moment de lachat, au temps de la belle entente, on avait voulu se prémunir contre larrivée de gens nayant pas le même esprit et on avait établi une clause générale interdisant à chacun des propriétaires de vendre sans laccord de tous les autres.
Avec toutes les rancoeurs accumulées, obtenir lunanimité nétait guère possible. Les uns se faisaient un malin plaisir de pourrir la vie des autres en empêchant leur départ et certains mirent des années avant de pouvoir revendre, récupérer leur mise et quitter enfin le village maudit.
Cest ainsi qua fini notre beau rêve des seventies et que petit à petit, sans trop savoir comment, nous nous sommes retrouvés à vivre comme tout le monde, en couple, les enfants à lécole, salariés et clients de supermarché.
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