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Rêve et réalité des seventies (la réalité) par Sablaise1

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Le soir lorsque les enfants étaient endormis, nous parlions jusqu’à plus d’heure de vivre en communauté, au vert, et de sortir ensemble de la société du fric et de l’individualisme. Petit à petit le projet prenait forme, c’était dans le Sud que nous voulions créer une petite structure collective et solidaire et tout partager, le travail, les loisirs, l’éducation des enfants. D’abord il faudrait trouver un village en ruines abandonné qui se vendrait pour une bouchée de pain et l’acheter en réunissant nos petits moyens et en empruntant le reste. Ensuite il faudrait vivre quelque temps comme nous le faisions déjà, les filles trouveraient des petits boulots et les hommes retaperaient les maisons du village. Quand les maisons seraient en état on se lancerait tous dans le travail agricole pour atteindre l’autosuffisance et vendre le surplus à l’extérieur. Il était surtout question d’élever des chèvres, de fabriquer du fromage artisanal et de produire des…cornichons. Je crois que nous l’étions un peu cornichons, nous, à vouloir nous transformer du jour au lendemain en agriculteurs alors qu’aucun d’entre nous ne venait de ce milieu et que nous avions tous fait des études…mais nous y croyions ferme. Plusieurs sont partis en éclaireurs et ont trouvé le village idéal au fin fond du Lot et Garonne. Il fallait se décider très vite et c’est à ce moment que mon mari et moi nous avons fait marche arrière. Je crois qu’il n’avait pas vraiment envie de retaper des maisons ni de travailler la terre ni de quitter sa Vendée natale. De mon côté j’avais un peu soupé de la vie de communauté et, au risque de passer pour petite bourgeoise, je ne me trouvais pas si mal dans mon sweethome avec ma petite famille. Et puis l’un comme l’autre nous avions un mauvais pressentiment. Le moment venu, tous les autres sont partis et cela nous a fait un peu mal au cœur mais nous avons su très vite que nous avions fait le bon choix. Au village chacun était propriétaire de sa maison mais l’idée était que tous travailleraient à tour de rôle sur chaque maison. Il en a été ainsi quelque temps puis sont apparus les premiers conflits parce que chacun ne travaillait pas au même rythme ni avec la même efficacité et les plus performants se sentaient lésés. Ils on commencé par protester « ce n’est pas juste, quand tu viens travailler une journée sur ma maison tu fais ce que je fais en une demi-journée quand je vais travailler sur la tienne » et ils ont fini par refuser d’aller travailler les uns chez les autres. Ainsi prit fin le rêve collectif et égalitaire et chacun se retrouva à retaper seul sa maison. Les relations libres entre hommes et femmes ne tardèrent pas à non plus à faire éclater les couples et à semer la zizanie. Quand je suis allée leur rendre visite, peut-être deux ans plus tard, j'ai trouvé un village où chacun vivait replié chez soi et où certains ne s’adressaient même plus la parole. Je n'y suis jamais retournée. Ensuite ce fut la dégringolade. La culture et l’élevage s’avéraient pénibles et peu rentables et il fallait absolument trouver du travail à l’extérieur. Mais le Lot et Garonne n’était pas un département touristique en pleine expansion comme la Vendée et il y avait très peu de possibilités en matière d’emploi. Les conditions de vie devenaient de plus en plus difficiles et certains voulaient repartir. Seulement au moment de l’achat, au temps de la belle entente, on avait voulu se prémunir contre l’arrivée de gens n’ayant pas le même esprit et on avait établi une clause générale interdisant à chacun des propriétaires de vendre sans l’accord de tous les autres. Avec toutes les rancoeurs accumulées, obtenir l’unanimité n’était guère possible. Les uns se faisaient un malin plaisir de pourrir la vie des autres en empêchant leur départ et certains mirent des années avant de pouvoir revendre, récupérer leur mise et quitter enfin le village maudit. C’est ainsi qu’a fini notre beau rêve des seventies et que petit à petit, sans trop savoir comment, nous nous sommes retrouvés à vivre comme tout le monde, en couple, les enfants à l’école, salariés et clients de supermarché.

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