Elle attendait depuis maintenant quinze jours l'arrivée du bateau avec la lettre, sa lettre ! Peut être même SES lettres, qui auraient pris le même transport, écrites à quelques jours d'intervalle.
Le Pierre Loti, paquebot de la SHRM, était arrivé de la veille dans le port de la Pointe des Galets, mais le facteur passé ce matin n'avait rien déposé qui la concernât . Juste du courrier de la famille, qui avait ravi ses parent et qui, en d'autres temps l'aurait amusée. Les photos des cousins qui n'en finissaient pas de grandir et allaient la rattraper.
Mais là, elle s'en moquait, elle voulait autre chose.
Déjà à la dernière rotation il y a 5 semaines, il n'y avait rien eu pour elle. Elle était oubliée ? Impossible, pas son amie, sa meilleure amie, sa soeur d'adoption !!
Je me souviens de ces impatiences de mon adolescence dans cette ile de l'Océan Indien, la Réunion.
C'était le temps des lettres, des missives. Ecrites fébrilement sur du papier avion, léger comme une feuille de cigarette et qui résistait peu, si l'on avait le stylo rageur (oui on avait déjà dépassé la plume sergent major, je vous assure !) .
Les inscriptions idiotes et charmantes au dos de lenveloppe : « facteur presse ton pas car lamitié nattend pas ».
J'avais une amie, mon amie, laissée en région parisienne après une pitoyable (scolairement parlant !) année de 5ème passée ensemble, entre deux séjours ailleurs.
Ma première 'meilleure amie", le double, la confidente, la partageuse de pleurs et de fous rires, pour rien, pour tout....
Elle m'enviait l'ile, les cocotiers, la chaleur... je lui enviais ses vacances dans la maison familiale de Normandie, le vélo qu'elle retrouvait dans le garage chaque année et les copains d'enfance qui l'attendaient.
On s'échangeait de longs courriers qui disaient TOUT. Avec un langage codé où le nombre de croix en haut de la première page donnaient des signes importants : si l'on avait ENFIN flirté ou non ! Nos parents respectifs étaient "à la page" et préservaient notre complicité et nos écrits (du moins je l'espère !).
On avait 13 ans à peine, entre enfants et femmes en devenir. Et nos lettres nous faisaient un lien solide par dessus les mers et ce lien ne cesserait jamais. On se l'était promis !
Ce bonheur à lire son courrier, rire de ses dessins humoristiques, deviner entre les lignes ce qu'elle ne s'autorisait pas à écrire. Le même bonheur à, vite, lui répondre...
Le papier si fin, l'écriture recto verso, qui rendait certains paragraphes noyés dans un brouillamini de signes qui se mélangeaient.
Et il y avait aussi « les correspondants ». ça cétait un truc pour ceux qui vivaient au-delà des mers
le copain dun copain qui voulait correspondre avec une fille dans les iles. « Tu veux bien correspondre avec mon cousin qui fait son service militaire en France, il sennuie
. ». Premiers échanges, timides. Photos, maladresses, fautes et puis assez vite des déclarations enflammées
Le virtuel existait déjà, mais si, mais si.
Et toutes ces missives voguaient sur les flots, pleines despoirs, de désirs, de tendresses, dinnocence excitée, de complicités, dattentes
. Cinq semaines de Marseille au port de la Réunion
idem retour. Ce qui faisait que lon recevait des lettres avec minimum deux mois de décalage entre questions et réponses, attendues fébrilement.
On parlait entre copains et copines réunionnais de nos correspondants. On se montrait les lettres parfois, les photos. « Il est comment le tien ? »
.
Et puis aujourdhui un simple clic, et lon est relié au monde, tout de suite.
Je réalise (je suis lente à admettre que je ne suis plus dans ma prime jeunesse) que comme ma grand-mère de 105 ans je suis à cheval sur des époques qui vivent à des rythmes différents. Elle a connu les voitures à chevaux et le crottin qui salissait les rues avant que de venir enrichir les jardins ouvriers, jai connu les voyages en bateau et les changements de paysages et de climats qui laissaient lesprit en adéquation entre les espaces parcourus et le temps pour joindre des lieux éloignés et sadapter en relative douceur aux ailleurs.
Je me refuse à faire ma grincheuse qui trouvait que cétait mieux avant ! cétait différent. Et puis je dois préserver un potentiel pouvoir de séduction, soit sur les très jeunes, soit sur les très vieux
. Maintenant que le vintage est à la mode, jaurais tort de me gêner !
Aujourdhui les messages sont plus courts, envoyés et reçus dans limmédiateté. Mais la charge émotionnelle est là, pareille.
Ceux qui sexposent à écrire attendent les commentaires, les messages privés peut être, avec impatience. Il y a des enjeux, des espoirs, des rêves.
Mais que va-t-il rester de toutes nos mémoires virtuelles, qui vont se perdre au fur et à mesure que les outils vont évoluer, les serveurs changer
. On ne retrouvera plus dans une malle les lettres de la grand-mère écrites au grand-père, à une amie
..puifff
parties, disparues sans laisser de traces nos amitiés et amours virtuelles
. Juste quelques bribes dans les mémoires
. Et fini
.
Dommage.
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