Pourquoi je l'aime ? Parce que c'est lui ... Non ne fuyez pas, je ne vais pérorer ni sur Montaigne ni sur une histoire d'A, quoique !
On s'est rencontré par petites annonces, si si. Dans les années 80, comme chaque matin je lisais Libé et dans le courrier des lecteurs, une femme y racontait sa rencontre inopinée dans un fast-food des Champs-Élysées avec Jean-Hugues Anglade, mal rasé et le regard habité : il était en plein tournage de 37,2 le matin ; il lui parla du romancier, du personnage de Zorg avec fébrilité et passion.
Sur ce, interpellée et curieuse, je fonçais à ma librairie préférée pour me faire une idée. Après lecture et quasiment dès les premières lignes, le choc, comme une révélation. Jamais je n'avais lu un auteur maniant, malaxant la langue comme lui ; il me rappelait certains auteurs américains que j'appréciais depuis longtemps ... Un rebelle, un rocker littéraire, voilà qui n'était pas fait pour me déplaire !
" Elle m'a fait penser à une fleur étrange munie d'antennes translucides et d'un coeur en skaï mauve et je connaissais pas beaucoup de filles qui pouvaient porter une minijupe de cette couleur-là avec autant d'insouciance."
J'aimais son univers, ses mots, ses références musicales et littéraires, et dois-je l'avouer sa tronche en 4e de couv' ! Mordue, en plein béguin, je guettais chaque nouvelle parution d'un de ses romans : jamais déçue, toujours enthousiaste ! Ne serait-ce que sa façon d'écrire les scènes de cul, sans tricherie, d'une façon très crue mais avec quel style ...sans que cela tourne à l'exercice !
Peu m'importait la polémique dans le landerneau de l'édition : un auteur à succès est toujours un peu suspect n'est ce pas ? Djian, effet de mode ah bon ? Je dévorais chacun de ses mots, même un simple article signé.
Grâce à lui, j'ai découvert Brautigan, Bukowski, Carver dont Philippe Djian est particulièrement fan. Il me donnait envie de découvrir les Landes, Nantucket, un peu comme si je mettais mes pas dans les siens. Que voulez-vous, je suis comme le bon dieu m'a faite : une indécrottable midinette ! J'ai continué à le lire durant toutes ces années jusqu'à aujourdhui, un peu comme si je grandissais avec lui ; ses thèmes changeaient, ainsi que les lieux et les univers qu'il décrivait.
- « ARDOISE » : hommage aux écrivains qu'il vénère.
- « LENT DEHORS » : dont l'action se situe sur la côte est américaine dans une famille d'artistes extravagants. Style éblouissant.
- « ÇA C'EST UN BAISER » : polar azimuté où il se met avec une stupéfiante lucidité et sensibilité dans la peau d'une femme un peu trop ronde.
- « DOGGY BAG » : encore un ovni littéraire !!
Très inspiré par la nouvelle génération de feuilletons US, comme Six feet under, Soprano ou Nip Tuck et fasciné par leur efficacité, Djian a voulu écrire une sorte version éponyme française avec le soutien du réalisateur Jacques Audiard ; mais connaissant la frilosité des chaînes de télévision (plus promptes à décerveler sans doute) le projet est abandonné. Il s'est donc résolu à appliquer les mêmes codes en littérature et cela donne "DOGGY BAG" ! (Six romans sont au total).
Situations dramatico loufoques, une galerie de personnages détestables, décalés, haut en couleurs, perfectibles à l'instar de nous-mêmes, ce qui ne l'empêche pas de les rendre attachants ! Un peu surprise de ce nouveau chemin, je retrouve cependant tout ce que j'aime depuis "MAUDIT MANEGE" chez cet auteur, un style intensément contemporain, rythmé, ainsi qu'un constat drôle et grave, tendre et cynique, de notre société. Et toujours ses mots taillés dans le brut.
En 2008, « IMPARDONNABLES » est lun de ses meilleurs romans, tant au niveau de lhistoire, dont on pourrait dire que cest un scénario tant la construction est originale. Lamour filial, tendre et caustique, une écriture très inspirée, un très grand cru !
En 2010 il publia « INCIDENCES » : un polar improbable que jai adoré, un très bon cru !
Quant à « VENGEANCES » écrit en 2011, je suis plus dubitative, pour ne pas dire très restrictive ; je nai pas aimé le constat déprimé de ses héros quinquagénaires remplis damertume. Limpression dun roman bancal, bâclé.
Bien entendu, je me procure son dernier opus mystérieusement intitulé « OH
» dont les 50 premières pages me ravissent, lorsqu hier je lis dans la presse :
Le marathon des prix littéraires s'est achevé mercredi 14 novembre par le prix Interallié, décerné à Philippe Djian pour son livre « OH... » paru aux éditions Gallimard. L'auteur de 37,2° le matin a été distingué par les jurés au huitième tour, avec cinq voix. Le Monde, 14 novembre 2012.
Inutile de vous dire la joie qui me saisit à cet instant ! Partageant avec cet auteur dune trentaine de romans, le couronnement dune carrière que je suis depuis si longtemps, comme une complicité tacite. Je repense aussitôt à cette charmante dédicace, tendrement moqueuse qui figure sur lun des livres de ma collection chérie.
Philippe, je ...... non rien.
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