Il suffirait de presque rien par Camino

C’est en lisant l’annonce d’une femme qui cherche un homme, que j’ai repensé à Serge Reggiani. J’avais reçu le catalogue des nouvelles inscrites (pardon, la lettre hebdomadaire), une photo m’a attiré plus que les autres, j’ai cliqué. L’annonce m’a touché. Même la forme : un gros pavé sans saut à la ligne, ce qui en général m’agace, contribuait à l’émotion. J’avais l’impression qu’elle avait lâché son message dans un souffle, sans prendre le temps de respirer, il y avait urgence. Les envies contenues s’affichaient en phrases courtes, et chacune donnait une sensation, d’une tonalité différente. Par touches, elle alignait des petits moments de bonheur. Ces impressions formaient un tableau d’une grande sensibilité. Un coup d’œil vers la profession, m’a conforté dans mon sentiment d’une femme de qualité. J’ai regardé son âge. C’est là, que Reggiani est apparu. Il suffirait de presque rien …. Peut-être dix années de moins … Pour que je te dise "Je t'aime"…. Que je te prenne par la main Pour t'emmener à Saint-Germain T'offrir un autre café-crème. Comment j’ai pu oublier Reggiani ? On a passé des années ensemble. Je connaissais ses chansons par cœur. J’avais même un cahier où j’avais recopié les paroles. Je les ai braillées dans mes randonnées en montagne. Je les ai murmurées dans mes moments de solitude. J’ai pleuré avec Reggiani, je me suis révolté avec lui. Et pourtant je l’avais oublié. Serge ! ... Je suis super content que tu sois revenu ! Mais là, tu vois, ce n’était pas le moment. J’étais bien avec cette fille, tu arrives, après des années d’absence, et tu me casses la baraque. Le mal est fait. Je te demande cinq minutes, je lui laisse un message de bienvenue, et je la range dans le tiroir avec les belles passantes de Brassens. Avec Serge, mes souvenirs sont revenus. Il est né le 2 mai 1922 à Reggio Emilia près de Parme en Italie. La famille s'est réfugiée en France, pour fuir le fascisme, lorsqu'il avait huit ans. Elle s'installa à Paris en 1931. Serge quitte l'école à 13 ans et commence l'apprentissage de coiffeur. C'est en 1937 qu'il se présente au concours d'un conservatoire des arts cinématographiques. Il en sort un an après avec un premier prix de comédie. Il est reçu en 1939 au Conservatoire national d'art dramatique, où il obtient en 1941, un deuxième prix de comédie et tragédie. C'est un artiste complet, qui a commencé par le théâtre, avec des pièces comme Britannicus, Loup garou, Les Parents Terribles. Son répertoire va de Camus à Dumas. A partir de 1959, il a joué plus de 500 fois Les Séquestrés d'Altona de Sartre. Ses rôles dans les films débutent en 1942 : Le Voyageur de la Toussaint, Le Carrefour du paradis, Les Portes de la Nuit. Casque d'Or avec Simone Signoret, en 1951, a été pour lui un sommet. Il a tourné ensuite sous la direction de Melville, Visconti, Scola. Il a également participé à quelques téléfilms. Mais j'aime Reggiani, essentiellement pour ses chansons, près de 200. Trois axes me plaisent chez lui : La révolte politique, la solitude, l'amour. En 1963, il a enregistré des chansons inédites de Boris Vian. L'album est un succès et reçoit en 1965 le prix de l'académie Charles Gros. En 1966, Barbara lui demande d'être sa première partie dans son tour de chant. Serge Reggiani devient alors le chanteur le plus populaire de la fin des années 60 avec des titres comme : Les Loups, Sarah, Ma Liberté, Ma Solitude, Le Petit Garçon, Le Déserteur. Dans les années 70, il sort un nouveau disque par an. Le petit garçon, L'Italien, L'Absence, Le Déjeuner au soleil, Votre fille a vingt ans, Le souffleur, Venise n'est pas en Italie, … Après le suicide de son fils en 1980, son goût pour la chanson a diminué. Il a ce pendant continué de produire des albums. On trouve dans certains textes, des traces de sa lutte contre la dépression et l'alcoolisme : " Du whisky au vichy Qu'on sorte seul ou bien en bande On n'est que l'amant de la nuit Et comme c'est elle qui commande On obéit Elle nous invite à l'arroser Mais comme elle boit pas très souvent On a vite fait de se payer Un foie géant " À partir des années 80, il a fait un peu de peintures, qui ont été exposées. Il a écrit deux livres, " La question se pose" en 1990 et en 1995 "Dernier courrier avant la nuit". La nuit est arrivée à 82 ans, le 23 juillet 2004.