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La corde par Peponide

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Je suis en classe de CM1, j’ai donc 9 ans passés si je n’m’abuse. Très bonne élève, j’excelle dans toutes les matières, sauf le sport… Je suis de celles qu’on ne choisit pas dans son équipe. Je ne suis pas très à l’aise avec mon corps. Beaucoup trop timide, je ne parviens pas à m’en extirper pour le manipuler avec aise. Arrive le trimestre de la gymnastique. Nous prenons le bus et arrivons dans une immense salle où les bruits n’en finissent pas de mourir sur les gigantesques parois du gymnase. Il y a de larges rais de lumière qui strient le sol plastifié. Je n’aime pas ce lieu, je me sens toute petite, il y fait froid. Les équipements ont été installés à l’avance : le cheval d’arçon, la poutre, les barres parallèles, la corde… Un à un, je les observe comme autant d’instruments de torture… Des tapis de sol sont disposés près des agrès pour amortir d’éventuelles chutes. Je ne suis pas rassurée. Il va falloir être courageuse ! Advienne que pourra... ...C'est une interminable corde. Elle est solidement fixée au plafond. Le but à atteindre ne laisse aucun doute : y monter à mains nues. Un adhésif rouge marque la hauteur idéale. C’est très, très haut ! Mon Dieu ! Notre maîtresse nous explique la technique : enrouler la corde autour d’un pied, la bloquer avec l’autre et à la force des bras, se hisser… Et ainsi de suite, jusqu’au trait. Les garçons sont très forts. Ce sont les premiers à s’essayer. Nous les admirons. Vient mon tour… Je suis très impressionnée. Je saisis la corde d’une main, la soupèse. Elle est lourde et rêche entre mes doigts… torsadée très serrée comme mon cœur à cet instant. Je la devine rebelle. Je tente l’ascension, c’est parti ! Je suis très concentrée, je prends un léger élan et mes mains empoignent la corde suffisamment haut, il ne me reste plus qu’à la bloquer avec mes pieds. Impossible ! Lorsque j’arrive à la maintenir, elle vient s’écraser trop douloureusement sur la fine toile de mes chaussons. Je renonce. Mais je ne m’avoue pas vaincue, je réessaye. Un petit élan et hop je saisis à bout de bras la corde et la bloque entre mes cuisses. Ça marche ! De nouveau, mes mains se retrouvent bien au-dessus de ma tête et par la force des bras aidée par un mouvement du bassin, la corde vient se coincer tout naturellement dans le creux de mon entrejambe. Je suis encore loin du but, mes mouvements se répètent assez péniblement, une fois, deux fois, trois fois et bientôt je ne compte plus… Je ne sens plus la fatigue. Mon souffle s’accélère… Aussi quelque chose se trame dans mon corps, quelque chose d’indéfinissable se passe dans le bas de mon ventre et me pousse à continuer l’ascension malgré la douleur de l’effort et mes mains lacérées par la corde … Je ne peux plus et ne veux plus m’arrêter. Le trait rouge est à portée de main, bientôt dépassé... Et c’est une explosion de sensations auto-centrées qui irradient mon corps entier. J’étrangle la corde encore un peu plus, m’y frotte, mes yeux se plissent. Je me lie à elle avec dévotion, je la fais mienne éperdument... Enfin, je reprends mes esprits et regarde au sol, je suis beaucoup trop haut, j’ai le tournis… Et à bout de forces, je me laisse couler par saccades le long de la corde, ma nouvelle amie, jusqu’en bas. J’ai les jambes coupées, la respiration haletante, je me rassois parmi mes camarades qui me fixent du regard. Je constate que mes mains sont écarlates tout autant que mes joues imaginé-je. Depuis ce jour, les cours de gymnastique me sont devenus indispensables. Pour rien au monde, je ne les aurais ratés ! Le trimestre terminé, me voici prise au dépourvu… J’ai dû parler à la maison de ma nouvelle passion à plusieurs reprises car peu de temps après, papa est rentré un soir du travail avec une magnifique corde qu’il accrocha à une solide branche d’un grand pin au fond du jardin. Il travaillait à cette époque près du port autonome de Marseille. Quelle chance ! J’ai pu m’adonner au plaisir de grimper à toute heure de la journée autant de fois que je le désirais. Je me souviens, ma sœur a eu la même passion que moi… Et en redescendant, on se disait la même chose : « Han ! Qu'est-ce que ça fait du bien ! » Inutile de dire que la corde est restée accrochée longtemps dans le jardin. Plusieurs années… Et puis un jour, j’ai compris toute seule et à l’abri des regards ce qu'était cette indéfinissable explosion de sensations auto-centrées… Et j’ai souri. Je ne remercierai jamais assez mes pieds et leur peau si délicate.

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