Je suis en classe de CM1, jai donc 9 ans passés si je nmabuse. Très bonne élève, jexcelle dans toutes les matières, sauf le sport
Je suis de celles quon ne choisit pas dans son équipe. Je ne suis pas très à laise avec mon corps. Beaucoup trop timide, je ne parviens pas à men extirper pour le manipuler avec aise.
Arrive le trimestre de la gymnastique. Nous prenons le bus et arrivons dans une immense salle où les bruits nen finissent pas de mourir sur les gigantesques parois du gymnase. Il y a de larges rais de lumière qui strient le sol plastifié. Je naime pas ce lieu, je me sens toute petite, il y fait froid. Les équipements ont été installés à lavance : le cheval darçon, la poutre, les barres parallèles, la corde
Un à un, je les observe comme autant dinstruments de torture
Des tapis de sol sont disposés près des agrès pour amortir déventuelles chutes.
Je ne suis pas rassurée. Il va falloir être courageuse !
Advienne que pourra...
...C'est une interminable corde. Elle est solidement fixée au plafond. Le but à atteindre ne laisse aucun doute : y monter à mains nues. Un adhésif rouge marque la hauteur idéale. Cest très, très haut ! Mon Dieu !
Notre maîtresse nous explique la technique : enrouler la corde autour dun pied, la bloquer avec lautre et à la force des bras, se hisser
Et ainsi de suite, jusquau trait. Les garçons sont très forts. Ce sont les premiers à sessayer. Nous les admirons.
Vient mon tour
Je suis très impressionnée. Je saisis la corde dune main, la soupèse. Elle est lourde et rêche entre mes doigts
torsadée très serrée comme mon cur à cet instant. Je la devine rebelle. Je tente lascension, cest parti ! Je suis très concentrée, je prends un léger élan et mes mains empoignent la corde suffisamment haut, il ne me reste plus quà la bloquer avec mes pieds. Impossible ! Lorsque jarrive à la maintenir, elle vient sécraser trop douloureusement sur la fine toile de mes chaussons. Je renonce. Mais je ne mavoue pas vaincue, je réessaye. Un petit élan et hop je saisis à bout de bras la corde et la bloque entre mes cuisses.
Ça marche !
De nouveau, mes mains se retrouvent bien au-dessus de ma tête et par la force des bras aidée par un mouvement du bassin, la corde vient se coincer tout naturellement dans le creux de mon entrejambe. Je suis encore loin du but, mes mouvements se répètent assez péniblement, une fois, deux fois, trois fois et bientôt je ne compte plus
Je ne sens plus la fatigue. Mon souffle saccélère
Aussi quelque chose se trame dans mon corps, quelque chose dindéfinissable se passe dans le bas de mon ventre et me pousse à continuer lascension malgré la douleur de leffort et mes mains lacérées par la corde
Je ne peux plus et ne veux plus marrêter. Le trait rouge est à portée de main, bientôt dépassé... Et cest une explosion de sensations auto-centrées qui irradient mon corps entier. Jétrangle la corde encore un peu plus, my frotte, mes yeux se plissent. Je me lie à elle avec dévotion, je la fais mienne éperdument...
Enfin, je reprends mes esprits et regarde au sol, je suis beaucoup trop haut, jai le tournis
Et à bout de forces, je me laisse couler par saccades le long de la corde, ma nouvelle amie, jusquen bas. Jai les jambes coupées, la respiration haletante, je me rassois parmi mes camarades qui me fixent du regard. Je constate que mes mains sont écarlates tout autant que mes joues imaginé-je.
Depuis ce jour, les cours de gymnastique me sont devenus indispensables. Pour rien au monde, je ne les aurais ratés ! Le trimestre terminé, me voici prise au dépourvu
Jai dû parler à la maison de ma nouvelle passion à plusieurs reprises car peu de temps après, papa est rentré un soir du travail avec une magnifique corde quil accrocha à une solide branche dun grand pin au fond du jardin. Il travaillait à cette époque près du port autonome de Marseille. Quelle chance !
Jai pu madonner au plaisir de grimper à toute heure de la journée autant de fois que je le désirais.
Je me souviens, ma sur a eu la même passion que moi
Et en redescendant, on se disait la même chose : « Han ! Qu'est-ce que ça fait du bien ! »
Inutile de dire que la corde est restée accrochée longtemps dans le jardin. Plusieurs années
Et puis un jour, jai compris toute seule et à labri des regards ce qu'était cette indéfinissable explosion de sensations auto-centrées
Et jai souri.
Je ne remercierai jamais assez mes pieds et leur peau si délicate.
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