Voilà lhistoire : avant de débourser le moindre sou pour minscrire sur un site de rencontre, je voulais être sûr de ne pas foirer le coup, finir la gueule contrite, éviter de ranger mes plumes de paon au vestiaire après juste un mois de déveine.
Aussi métais-je posé à temps la question essentielle, existentielle et préalable : comment bien préparer un beau texte de présentation qui donne envie ? Javais travaillé à une forme concise (pour être lu en entier), vaguement poétique, avec de grands mots : il est plus facile de faire illusion ainsi et il paraît que ça marche.
« Je veux te prendre lâme en télescopage, incongrue
Pour chérir ton cur que tu ne penses amolli.
Lors du grand soir appelle-moi Abi
Et ne supposerais lespoir ténu. »
Jétais content. Je mabonnais sous le pseudo que vous me connaissez et publiais ce mini chef-duvre.
Le lendemain pourtant, la relecture me posa diverses interrogations, problèmes compliqués et occasionna plusieurs retouches embarrassantes.
1ère strophe :
Jai dabord décidé de supprimer « te prendre », pour sa connotation explicitement sexuelle, ainsi qu « incongrue » à cause de la terminaison peu flatteuse en « grue » ; ce qui donnait « Je veux lâme en télescopage », qui est passable. Mais je décidais denlever aussi « veux » pour son côté impétueux, trop affirmatif et pour tout dire inquiétant.
« Je, lâme en télescopage » : cest bien - mieux même - en tout cas très profond, très mystérieux.
Toutefois jai constaté quil y avait une assonance induite, « lâme en té » suggérant lamenter. Tout à fait dommageable. Qui voudrait dun geigneux, dun chouinard ? Il fallait supprimer ça encore.
Javais donc un bizarre « Je lescopage » ce qui nest ni charmant, ni délicat, un peu libidineux, presque salace et qui de surcroît ne signifie rien. Enlevons « lescopage »
Je nai gardé que « Je » pour le début : cétait très peu.
2è strophe :
« Chérir » et « ton cur » cest déjà un peu comme si je disais déjà « chérie » ou « mon cur »
nest-ce pas trop familier ? Et « Pour chérir » ne sonne-t-il pas comme « porcherie » ? Sent-on la bête en rut qui sommeille en moi ? Non, ça ne va pas. Rien ne va.
Cest là que le vertige me prit. Tout à coup je savais que je ne savais plus, je ne savais plus rien.
Jétais saisi dune telle frénésie interprétatrice doublée de folie correctrice et raturière que, selon cette même logique, jassistais effrayé à la démolition presque totale de mon joli poème.
« Que tu ne » changé en un insidieux « Que thunes », puis « Amolli » tendancieusement proche d « à mon lit » furent impitoyablement biffés.
Puis, ce fut le tour de la 3è strophe :
« Lors du » devint « lordure »
Le « grand soir » jugé trop politique, et pire, utopiste (lamour que je proposais voulais être bien réel) fut lui aussi censuré.
« Appelle-moi », me fit penser à « Ah pelle-moi » ou « Ah pèle-moi » et deux ados se charcutèrent de leurs appareils dentaires lors dun scalp partagé de langues en danse sioux.
4è strophe :
« Et ne » fut entendu « Haine », puis « supposerais » mévoqua le suppositoire jouxtant une raie dentre-fesse, et tout un tas dhorribles maladies culières à soigner.
Enfin « lespoir » glissa subliminalement en « laisse » - très masochiste et « poire » avec les expressions associées « se fendre la poire », « se sucer la poire », etc
Voilà.
Ainsi me trouvais-je face à lévidence, lévidence du solipsisme, labsurdité de la communication ?
Nenni, il me restait des bribes, javais encore un zeste despoir.
Mais cest après avoir observé le résultat final après 2 heures dacharnement - les 4 mots survivants « Je », « pense», « Abi », « ténu » : « Je pense à biter nu » - que jai renoncé sur-le-champ et définitivement à me réinscrire sur un site de rencontre.
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Pourquoi jai désormais renoncé définitivement à minscrire sur un site de rencontre par Abicyclette
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