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Apprivoisés par Joaa

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Paris, 2013 Il est arrivé dans ma vie sans faire de bruit, jeune dandy tout en longueur, discret, un peu sombre, il se méfiait. De moi, de nous, de cette agitation joyeuse, de ce qu'on pouvait voir de lui. Il ne s'approchait pas, il savait sa fragilité il savait qu'on pouvait dire des mots déshumanisants, qu'il ne maîtrisait pas nos codes, nos repères. Il venait d'un endroit où tout n'est que symptômes, où il n'y a plus de place pour la vie, pour les émotions vraies, pour les rencontres. Et puis, il a entendu notre joie, nos peines, il a saisi cette lueur d'authenticité, et il a tendu l'oreille... Il est venu nous écouter parler, nous regarder rougir, balbutier, s'énerver, il a vu la tendresse, la peine partagée pour un autre qui s'en va, et nos débats philosophiques décalés, il a trouvé qu'on était même parfois perchés... ça l'a rassuré, petit à petit il a commencé à partager. Un mot lancé, un sourire amusé, un regard étonné. Doucement. Et un jour: "Je vous montre mes peintures?" Cela faisait un moment que je le regardais, du coin de l’œil, sans oser m'approcher. Pour ne pas l'effrayer, pour ne pas me tromper de chemin Son invite m'a désarçonnée, en marchant sur un fil, je l'ai suivi. Et tout s'est enchaîné lentement, jour après jour, des pas de petit poucet, sans les bottes, une soirée ailleurs, au milieu d'autres qui riaient, on s'est surpris à faire tomber, une à une, les barrières qui restaient Je ne me suis pas méfiée. On a continué à s'apprivoiser, à s'intéresser, on a commencé à partager. Il s'est mis à me parler, de ses doutes, des raisons pour lesquelles il venait se soigner, de ses joies aussi et puis on a beaucoup ri, parce qu'il a de l'esprit. Et un jour: "Je suis amoureux, ça m'envahit...et c'est de vous" Je ne m'étais pas doutée, puisque ça ne pouvait pas arriver Pas ici, pas lui, pas de moi... Il est tout jeune, si beau, et je suis soignante... Emue et choquée, je sors le parapluie; C'est du transfert amoureux, ça peut arriver, je maîtrise, tout va bien... on va en parler avec la psy si vous voulez, on va vous soigner ça vite fait (non, ça je ne l'ai pas dit) Et toute seule je me demandais ce que j'avais pu faire, comment je n'avais rien vu venir, avec toute mon expérience, et la peur de le blesser, de ne pas savoir maintenir cette relation qui l'aidait, comment j'allais trouver la "juste distance", maintenant que je savais... Comment ne pas me laisser tenter par la douceur d'être aimée par un garçon que j'admirais, rester pro, penser avant tout à ce qui pourrait le faire avancer parce qu'il était là pour ça, et que mon métier c'est de l'aider. Il a tout accepté; chercher à mettre des mots, à décortiquer, rencontrer la psy, décoder le jargon, entendre l'impossibilité. Il a beaucoup pensé, interrogé, cherché à comprendre. Entre nous, une légère gêne s'est installée, une peur, des deux côtés, mais quand je lui ai proposé de nous éloigner, il a paru effrayé. Il ne voulait pas se passer de ce que je lui apportais. J'avoue que ça m'a soulagée, je n'avais pas très envie de le laisser. Alors c'était dit, mais tranquillement on a repris nos blagues de potache et le cours de la vie, les p'tits cafés et les écrits partagés, avec les autres aussi, très naturellement la crainte s'est atténuée. Il a fait des progrès, il a avancé, il va bien. Son courage me saisit, sa tenacité à s'attaquer à ses difficultés sans faux-semblants, sans jamais essayer d'enjoliver, de taire, de cacher, simplement dans la recherche de pistes pour trier, pour comprendre et faire avec sa différence tout en l'articulant avec les autres. Il m'a écrit, plusieurs fois, en sachant que ce n'était pas "permis", que je ne pourrais pas lui répondre de chez moi. "Vous commencez à me connaître, il y a des choses qui m'échappent..." Il m'a fait sourire, comme toujours. Il me dit souvent qu'il aimerait qu'on se soit rencontrés ailleurs. Qu'il aimerait me connaître mieux, que lui me parle beaucoup de lui mais qu'il ne sait pas grand-chose de moi. Pourtant je sais qu'il me connait bien mieux que beaucoup de mes connaissances, "ailleurs"... Je lui dis que ce que nous partageons est vrai, même si c'est en ce lieu, et je dois avouer que c'est un réel bonheur de le retrouver, et pas seulement en tant que patient. Je ne sais pas ce que je ressens pour lui, mais je sais que c'est beau, qu'il me trouble et me touche, et qu'il ne faut pas que je lui montre trop. Je me dis parfois: si je l'avais rencontré ailleurs, et si nous avions eu le même âge,nous aurons été très heureux, mais ça fait beaucoup de "si" Alors on s'est dit: on va profiter de ce que nous pouvons partager, ici et maintenant.

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