Il a ouvert la porte sans se méfier. Il a fait un pas sans se méfier et il a refermé la porte. Il est resté immobile. Jean s'est levé. Il l'attendait.
La baie était ouverte, la nature était belle depuis peu. Il a fermé les yeux. Anne était là. Elle était partout, toutes les couleurs étaient ses couleurs, les odeurs aussi étaient ses odeurs, surtout cette odeur à peine perceptible de pure fraicheur. Il a ouvert les yeux. Elle était bien là, dansante, ombre légère elle l'effleurait comme sans y penser, elle se penchait, diaphane elle s'éloignait, frôlait le piano, revenait vers lui, déposait un regard léger sur chaque fauteuil, chaque coussin, elle s'inclinait devant la cheminée, contournait la harpe et le clavecin, elle tendait vers lui une main, puis l'autre.
Elle fredonnait.
Jean ne bougeait pas. Qu'il se taise. Qu'il ne dise rien. Qu'il ne fasse rien. Surtout pas de café, pas de thé, pas de fruits. Tous les jouets étaient là. Bien rangés. Les armées en ordre de bataille, le tracteur flambant neuf attendait, les poupées allongées sur le dos dormaient les yeux ouverts,les automobiles stationnaient. Ne rien toucher. Ne rien déranger. Laisser Anne arriver, faire son entrée.
Saluer.
Anne a décidé de revenir. Elle veut vivre encore un peu. Avec eux. Elle a beaucoup encore à jouer, elle a beaucoup encore à dire et à chanter. Elle veut voir ce printemps arriver, elle veut accueillir les premières fleurs, goûter les premiers fruits, écouter les oiseaux revenus. Elle veut encore crier, pleurer, se disputer. Elle a encore tant de bonnes idées, de grandes résolutions, elle a des rires et des fou-rires, elle a de grosses colères et d'énormes tendresses. Au moins déposer tous ses trésors avant de partir. Partir et puis revenir encore et encore. Et puis partir enfin pour de bon, sans idée de retour. Partir en douceur, sans bruit, sans effusion, tout doucement, sur la pointe des pieds.
Ne plus jamais voir maman pleurer.
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