Avant, jaimais bien les lapins
.
Je ne parle pas de Bugs Bunny ni des lapins de Play Boy. Je parle des vrais, des petits lapins sauvages quon voit parfois détaler furtivement entre deux buissons, le matin très tôt, de ces animaux si attendrissants avec leurs grandes oreilles de velours, leur pelage si doux, leur petit derrière frétillant
Il y a peu de temps encore, quand je les surprenais, jouant à saute-mouton dans la clairière, jen avais presque les larmes aux yeux : cétait une scène de lenfance du monde à laquelle javais le privilège dassister, et je la racontais à qui voulait lentendre, la voix tremblante démotion...
Oui mais ça, cétait avant.
Avant que je prenne les lapins en grippe !
Je vous raconte.
Prenez une citadine (moi, bien sûr !) qui a toujours rêvé davoir un jardin sans jamais parvenir à réaliser son rêve. Des amis, compatissants, mettent à sa disposition un bout de terrain, à proximité dune pinède. Elle a la fibre écolo mais elle ne connaît rien au jardinage, nayant jamais pratiqué. Alors elle harcèle les jardiniers, les vrais, elle hante les jardineries et les sites de jardinage. Elle bouquine aussi, comme si on pouvait apprendre à jardiner autrement quen mettant les mains dans la terre et en expérimentant ! Faut dire quelle a des excuses : son frère a appris la valse par correspondance, alors, pourquoi napprendrait-on pas pas le jardinage dans les livres ?
Elle se lance dans léco jardinage, économise leau, bannit les pesticides, herbicides, fongicides et tous ces trucs mortifères en « ides », elle composte, elle paille
Et puis la voilà qui se met dans la tête de faire un potager, qui commence à rêver de tomates goûteuses, charnues, avec des noms à vous faire voyager et saliver: Rose de Berne, Noire de Crimée, Miel du Mexique, Red Zebra, Téton de Vénus, Olirose de Saint Domingue
Mais le sol est ingrat : sable et cailloux. Quà cela ne tienne, on fera des lasagnes. Mais non, pas des pâtes ! De la culture sur lasagnes, qui fait (presque) tout pousser sur des sols impossibles. Je vous expliquerai si ça vous intéresse, mais il vaut mieux lire « lart du jardin en lasagnes » de J.P.Collaert (Edisud).
Et la voilà qui plante: basilic, tomates, salades, céleri, ciboulette, courgettes, et puis des fleurs aussi, pour faire joli et pour éloigner les prédateurs et les maladies. Une merveille !
Les plants de salades nont pas résisté 24 heures. Ratiboisés, coupés net. Devinez pourquoi
ou plutôt par qui
Mais les plans de tomates, eux, grandissent, se développent, prospèrent, produisent tellement quau premier coup de gros mistral tous les tuteurs seffondrent sous le poids des fruits. (Parce que, quand même, vous savez que la tomate est un fruit?)
Notre jardinière en herbe ne se décourage pas, elle redresse les tuteurs, soutient les tiges, paille parce quil fait très chaud, surveille la couleur de ses tomates, joufflues, énormes, mais
toujours vertes: il paraît que ce nest pas une année à tomates.
Et puis les voilà qui rosissent, rougissent, mûrissent
Enfin ! Tous les jours elle guette le moment où elles seront à point, où il suffira de les toucher pour quelles tombent, chaudes et odorantes dans sa main éblouie.
Bernique !
Un soir, prête à récolter, elle ( enfin moi) découvre le massacre : presque toutes ses tomates entamées, grignotées, rongées, portant la trace de deux incisives bien affutées inscrite dans leur chair si tendre
Le forfait est signé.
Vous le saviez, vous, que les lapins aimaient les tomates ??? Le thym et le serpolet, ça ne leur suffit pas à ces morfales? Quils boulottent mes plants de salades, passe encore, je navais pas eu le temps de my attacher, mais mes tomates ! Comme dit St Ex. (enfin presque) : « Cest le temps que tu as perdu pour ta tomate qui fait ta tomate si importante ».
Il lui vient des envies de meurtre. Des images de lapins rôtis, farcis, à la moutarde, aux champignons, de lapins dépecés, écorchés, de manteaux en peau de lapin, que sais-je encore, défilent dans sa tête.
Que faire ? Soudoyer un renard, trouver une fouine, lâcher un lapin porteur de la myxomatose ??? Pactiser avec les chasseurs du coin ? Ah non, ça, jamais !
Et puis ma colère est retombée. Jai cueilli avec tendresse ce que ces salopiots de lapins mavaient laissé de tomates consommables, tout en souriant intérieurement. Après tout, ils étaient chez eux. Faut savoir ce quon veut dans la vie : avoir la chance de vivre à proximité de la nature, ça a un prix. Je me suis dit que, pour une citadine écolo, vivre à proximité dune ribambelle de lapins gourmands valait bien le sacrifice de quelques tomates
Je laisse bien les chenilles grignoter les feuilles de mes arbustes pour leur donner une chance de devenir papillons
Oui, mais attention, lété nest pas fini, et de nouvelles récoltes mattendent.
Alors, demain, cest sûr, je mets mon potager en cage.
↧