Une information rendue publique ce dimanche 3 octobre 2010 a sonné comme la confirmation de lexception française en matière de collaboration.
Jusquà maintenant, il ny avait eu que le témoignage précis mais forcément contestable dun ancien ministre de Pétain, Paul Baudoin, dans des mémoires publiées juste après la guerre, en 1948 ("Neuf mois au gouvernement, avril à décembre 1940", éd. La Table Ronde). Paul Baudoin fut lun des signataires de la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs (Journal officiel du 18 octobre 1940).
Il racontait quau conseil des ministre du 1er octobre 1940, lordre du jour était à la mise en place du statut des Juifs. Une discussion qui a duré deux heures (comme quoi, ce nétait pas évident, même parmi les ministres de Vichy). Et Paul Baudoin fut sans complaisance dans sa description : « Cest le maréchal qui se montre le plus sévère. Il insiste en particulier pour que la justice et lenseignement ne contiennent aucun Juif ».
Cette phrase est désormais prouvée par un document sans équivalent : le texte original du projet de loi instaurant le statut des Juifs, annoté de la main même de Philippe Pétain.
Pétain, cétait un gars qui était déjà à la retraite en 1914 :
http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=41816
Les annotations de Pétain ont été authentifiées en les comparant avec dautres textes manuscrits de Pétain. Le document a été remis par un anonyme au Mémorial de la Shoah à Paris. La version initiale du projet émanait de Raphaël Alibert, ministre de la Justice et véritable "mentor politique" de Pétain (il encouragea Pétain à se séparer de Pierre Laval, au grand dam des Allemands).
Lanalyse de ce papier démontre que Pétain a voulu renforcer le caractère antisémite du projet. Serge Klarsfeld, qui en a fait lannonce, est catégorique : « La découverte de ce projet est fondamentale. Il sagit dun document établissant le rôle déterminant de Pétain dans la rédaction de ce statut et dans le sens le plus agressif, révélant ainsi [son] profond antisémitisme ».
En effet, le projet dorigine voulait épargner les descendants des Juifs nés français ou naturalisés avant 1860, mais Pétain refusa ces exemptions. Il voulait également enlever tout Juif des administrations, y compris chez les juges et les enseignants, et les empêcher dêtre élus.
Ce nouveau document est donc accablant pour Pétain. Loin dêtre le vieillard de quatre-vingt-quatre ans à la voix chevrotante possédant à peine toutes ses facultés mentales, Pétain avait personnellement modifié le statut des Juifs dans un sens plus répressif.
Pourtant, les nazis navaient rien demandé à lÉtat français. Ne lui avaient pas imposé de créer un statut des Juifs.
Alors, pourquoi la France de Vichy a-t-elle voulu faire autant de zèle, zèle confirmé ensuite par larrestation non seulement des adultes mais également des enfants juifs lors de la rafle du Vel dHiv ?
Un semblant de réponse peut se trouver dans deux réalités.
La première réalité, cest que Pétain était antisémite et il lavait déjà montré entre les deux guerres. Cétait sans doute lié à lépoque (au même titre que le "racisme paternaliste" dun Tintin à la même époque). Cet antisémitisme avait été renforcé par les crises politiques des années 1930, le presque putsch du 6 février 1934 et aussi par la victoire du Front populaire et larrivée au pouvoir de Léon Blum sur qui est pointée la responsabilité de limpréparation de la France à la guerre. Plus généralement, sur le besoin de boucs émissaires dans la débâcle. En quelque sorte, larrivée de Pétain au pouvoir a constitué la revanche attendue sur la réhabilitation du capitaine Alfred Dreyfus le 12 juillet 1906 et sur lantiparlementarisme qui gangréna la IIIe République.
La seconde réalité, cest celle de lOccupation allemande. Le gouvernement français souhaitait montrer aux nazis quil voulait collaborer avec tellement de complaisance quil en faisait "plus" que ce que les nazis lui demandaient. La thèse selon laquelle cette collaboration permettait à la France dêtre ménagée par les Allemands ne tient pas dans la mesure où les nazis nhésitaient pas à faire comme chez eux à propos de la répression antisémite.
En revanche, la France a moins souffert que dautres pays de ces répressions, malgré un pouvoir aux ordres, car la population na pas hésité à venir en aide aux personnes traquées.
Ce qui fait peur, cest la vitesse dinstauration de cette dictature-là.
La chronologie donne le tournis.
Le 17 juin 1940, Pétain forme son gouvernement (sur une erreur de discernement dAlbert Lebrun) et le 22 juin 1940, il signe larmistice.
Le 10 juillet 1940, Pétain reçoit les pleins pouvoirs des parlementaires grâce à lesprit manuvrier de Pierre Laval : dans une séance présidée par Jules Jeanneney, seulement 57 députés et 23 sénateurs sur 649 suffrages exprimés (sur les 907 parlementaires) sopposent à ce vote. (Ces 80 parlementaires ont été honorés le 10 juillet 2010. Parmi eux : Léon Blum, Vincent Auriol, Auguste Champetier de Ribes, Marx Dormoy, Félix Gouin, Jules Moch, Joseph Paul-Boncour, Jean Perrot, André Philip et Paul Ramadier. Henri Queuille, Édouard Herriot et Théodore Steeg sétaient abstenus).
Dès le 22 juillet 1940 (même pas deux semaines !), Pétain promulgue la loi sur la dénaturalisation des Juifs. Le 4 octobre 1940, le premier statut des Juifs
et ça continue en crescendo avec le 27 mars 1942, le premier convoi de Juifs qui part de Drancy vers les camps dextermination. Les 16 et 17 juillet 1942, la rafle du Vel dHiv.
Et toujours cette satanée question : comment la classe politique de 1940 a-t-elle pu sombrer aussi bas pour en arriver là ?
NB : Le film "L'il de Vichy" (de Claude Chabrol) donne un pot pourri des actualités diffusées par le régime de Vichy. Les informations économiques sont en particulier très éloquentes.
Quelques liens.
La dépêche AFP :
http://minilien.fr/a0lrd4
Deux fac-similés du document en question :
http://minilien.fr/a0lr16
http://minilien.fr/a0lr17
Le texte de la loi du 3 octobre 1940 (premier statut des Juifs) :
http://fr.wikisource.org/wiki/Loi_du_3_octobre_1940_portant_statut_des_Juifs
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