Et parfois, parce que je décide dêtre le plus calme des grands garçons, je laisse la paix venir et ça dure quatre ou cinq jours entiers durant lesquels rien ne me touche rien, vraiment rien, et je me surprends à ne pas froncer les sourcils une seule fois. Je ne gueule sur rien, vrai.
Au fond de moi, je sais pertinemment pourquoi je veux ệtre dans cet état-là, et pourquoi jy arrive. Mais la raison, je ne tiens pas à en parler ; je ne sais pas si ça peut se deviner. Se sont des yeux vert très clair, qui me regardent plusieurs fois par semaine. Je ne crois pas que j'invente : le coup se détourne dans ma direction d'un coup sec, d'un mouvement intentionnel.
Depuis maintenant trois semaines, la paix commence le vendredi soir un simple coup de griffe pour laccrocher et elle ne lâche plus. La paix parce que cest le week-end ? Non, pas dans mon cas. Le vendredi, le samedi et le dimanche je commence à travailler à vingt et une heures, un horaire auquel je suis complètement habitué le seul ennui étant que vers dix-huit heures, frais, douché et le ventre plein, je sens parfois que mes yeux voudraient se fermer. Alors je nattends pas. Puisque de toute façon je suis prêt, je pars. Je pars et une heure de trajet et quarante pages plus tard (en ce moment American Psycho, en allemand car je ne lis plus rien dautre) je vais marcher dans la nuit et dans le nord.
Sur le plan de Berlin, Tegel est tout en haut. Il y a un lac, il y a un port, mais Tegel cest aussi un quartier urbain où je me sens ridiculement bien un de ces rares endroits où mes vingt ans affleurent. Cest le dimanche soir que je préfère, vers vingt heures, lorsquil ny a personne dans la rue. Les rues de noms me plaisent : Gorki Straße, Alt Treskow, et surtout Karolinenstraße, lartère où dun seul coup finit la ville, presque sèchement, et juste après commence la dense, noire, noire, noire forệt de pins. Jai écrit trois fois noire mais ce nest pas encore assez. Cest amusant, une ville brusquement bordée de sangliers.
Je ne méloigne pas, bien sûr. Je reste sagement dans la rue et je regarde bệtement les magasins, les néons un peu criards : rouges ceux des pharmacies, jaune celui de la bijouterie Marvineck, jaune la Commerzbank mais depuis une semaine les six premières lettres sont éteintes et tout ce quon peut lire est ZBANK, juste en face de chez CA. Mon dieu que je suis calme. En ce moment, tout et même franchement nimporte quoi me semble nimbé de charme : les vitrines de chaussures, les mannequins silencieux qui font toujours la même tệte. Cest bien simple, je crois que mệme en me forçant je serais incapable de prononcer et de penser un seul mot grossier. Ah oui, au fait. Jai également repéré une petite rue piétonne où les terrasses seront certainement sympathiques au printemps. En mai ou juin, un après-midi ou un soir où jaurai libre, je viendrai boire un café ou une bière fraiche ; si tout va bien, je ne serai pas seul, mais accompagné, et ensuite, nous verrons. Un premier rendez-vous doit se dérouler dans la plus grande sérénité. En attendant, ce soir, jai marché jusquau début du canal. Cétait presque pleine lune. Le ciel était presque parfaitement dégagé, et je suis resté un très long moment à regarder les cygnes et à les écouter.
(Note : j'avais écrit ce machin à une époque où je croyais à un truc. Ca n'a pas marché, c'est archivé et digéré. On s'en cogne.)
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