Non, il ne la désirait pas.
Enfin, c'était bizarre.
Il se sentait très attiré par elle, mais jamais il ne l'imaginait nue, jamais il ne s'imaginait faire l'amour avec elle. Elle n'était pas la bienvenue dans ses rêves érotiques.
Il avait abandonné très vite ses idéaux d'un amour indépendant des contingences physiques. L'amour courtois n'était pas pour lui. S'il ne pensait pas pouvoir tomber amoureux seulement par le sexe, il ne croyait pas plus à la possibilité d'être amoureux sans sexualité. Ce n'était pas ça.
D'ailleurs, la dimension physique était importante dans l'attirance qu'il ressentait pour elle. Mais il y avait quelque chose de nouveau.
Son désir était physique: il voulait sentir sa peau sous la sienne, poser sa main sur elle. Même pas la caresser. Juste sentir sa peau contre la paume de sa main.
Il percevait ce désir comme innocent, enfantin, et il était content d'avoir des pensées aussi pures et aussi simples. Il n'était cette fois ni un homme qui ne pense qu'à amener une femme dans son lit, ni l'idiot qui croit tomber amoureux de la "beauté intérieure" de l'autre. C'était quelque chose d'intermédiaire, physique sans être immédiatement sexuel. Il s'imaginait poser sa main sur son jean, puis sur son ventre sous le T-shirt, y rester un moment puis ceindre son visage de ses deux mains et défaillir de bonheur. Il y avait certainement une dimension sexuelle dans ce désir, mais il était avant tout tactile.
Il avait un rapport particulier au toucher. La plupart du temps indésirable, au mieux toléré, le contact physique ne lui semblait naturel et agréable que dans la sphère intime sexuelle ou sentimentale. Naturel, agréable, mais en aucun cas un objet potentiel de désir.
Il avait connu des femmes plus belles et a priori plus désirables, mais ce qui se passait avec elle lui était inédit.
S'il extrayait la dimension sentimentale du sexe pour ne garder que celle de la satisfaction des sens, alors, il pouvait affirmer qu'aux côtés de cette femme il éprouvait un plaisir sexuel. Sexuel, sensuel, sensoriel, whatever.
Quand elle était fatiguée ou d'humeur maussade, son visage lui semblait, commun, voire légèrement désagréable. D'humeur enjouée elle lui apparaissait très jolie. Et puis il y avait ces moments rares et magiques où son visage était le plus beau visage au monde. Il lui semblait que dans ces moments là, tous les hommes alentour ne pouvaient que la remarquer et se tourner vers elle, envoutés par cette luminosité extraordinaire. Mais non, ils étaient heureusement trop stupides ou préoccupés pour y prêter attention.
Son corps n'était pas le plus parfait des corps féminins. Il pouvait lister, comme tout homme qui se respecte, un à un tous les défauts qui l'éloignaient du corps idéal. Et pourtant, il n'avait jamais vu un corps aussi émouvant. Plus que beau, émouvant. Il ne se fatiguait jamais de la vue de ses épaules étroites et rondes, de sa taille très marquée, de la cambrure de ses reins prolongée par l'arrondi de ses fesses. Elle était toute en courbes, et chacune de ces courbes le ravissait.
Il s'ennuyait souvent en écoutant les autres. Sujets inintéressants, poncifs à répétition, accumulations de stupidités, étroitesse d'esprit, inflation de mots et de phrases quand tout avait déjà été dit, il avait la dent très dure avec ses semblables. Alors, souvent, il faisait semblant d'écouter tout en s'intéressant à autre chose, musique de fond, conversations voisines, faits et gestes divers. Parfois, il ne pouvait s'empêcher de montrer son agacement et d'écourter le monologue de l'autre. Avec elle c'était tout différent. Elle était souvent intéressante, mais même quand ce n'était pas le cas il prenait un plaisir intense à écouter le son de sa voix, parfois enfantine, parfois plus grave et sensuelle. L'écouter était souvent intéressant. L'entendre était toujours un plaisir. Elle le captivait.
Il avait l'impression que ses sens lui donnaient accès à l'être profond qu'elle était. Ils voyaient à travers les masques qu'elle portait, les certitudes qu'elle affichait. Il lui semblait la voir telle qu'elle même ne se voyait pas. Et le plaisir de ces sens était aussi celui de voir une belle âme.
En présence de cette femme, sa tristesse s'évanouissait. Sa bonne humeur prenait des airs de bonheur. Elle était capable de magnifier toutes ses émotions, sans faire autre chose qu'exister, parler et passer un bon moment à parler de tout et de rien.
Elle comblait sa vue et son ouïe. Le toucher criait famine.
Il pressentait qu'une relation avec cette femme serait très différente de ce qu'il avait connu jusque là. Le désir sexuel ne serait jamais plus premier. Il naitrait naturellement de la satisfaction d'un désir sensuel plus large, plus essentiel. Il ne serait que le couronnement d'une sensualité dont il réalisait seulement maintenant l'importance. Il lui serait impossible de se lasser d'une femme dont la seule présence à ses côtés lui procurait plaisir et bien être. Jamais il ne pourrait se fatiguer de faire l'amour avec elle, parce que son sexe ne serait jamais seul à rechercher son plaisir, il ne serait qu'un dans la file d'attente. Il ne pouvait même pas imaginer ce que faire l'amour avec elle pouvait être. Il y avait la libido, le sexe, avec ou sans sentiments, ce qu'il connaissait bien, et puis caliner et faire l'amour avec cette femme. Un continent nouveau à explorer, loin des fantasmes qu'il pouvait concevoir.
Que se passerait il si un jour elle lui exprimait son désir? Il lui plaisait, il le sentait. Elle faisait passer des messages de plus en plus explicites, se demandant sans doute pourquoi il ne les saisissait pas. Les hommes sont souvent si stupides, incapables de comprendre le langage codé des femmes. Elle devait le prendre pour un de ces hommes qui ne peuvent comprendre que l'explicite. Petit à petit elle s'en rapprochait. Cela finirait certainement par un "Veux tu boire un dernier verre chez moi?". Il la sentait également capable d'un "J'ai envie de toi" ou pire "As tu envie de moi?". Il serait décontenancé, déçu peut être. Pourrait il lui répondre qu'il avait avant tout envie de la toucher?
Plus le temps passait, plus il réalisait qu'une montagne infranchissable s'était dressée entre elle et lui. Il se sentait incapable d'oser porter la main sur elle ou de poser ses lèvres sur les siennes. C'était devenu trop important, une question de vie ou de mort, il était pris d'une peur panique à chaque fois qu'il se disait que c'était le moment, qu'elle n'attendait que cela. Elle devait sentir son trouble sans en comprendre les raisons, lui qui avait évoqué ses ex, lui qui semblait ne pas être très compliqué sur ce plan là. Elle devait croire qu'il ne voulait pas et ne savait comment lui dire. Leurs rencontres devenaient de plus en plus étranges. Quelque chose n'allait pas.
Il essayait lui aussi de lui faire comprendre son intérêt pour elle, ses sentiments qui naissaient, son désir, mais quel désir? Il avait l'impression de ne pas jouer le rôle imparti à l'homme et de la décevoir. Pouvait elle même comprendre les messages si peu masculins qu'il lui envoyait? Avec dans sa tête toutes ces images préconçues de ce qu'est un homme et de ce qu'est une femme, il avait l'impression de s'être transformé en femme et de la forcer petit à petit à se comporter en homme. Quand se lasserait elle de ce jeu à la con?
Et puis il y eut ce rendez vous.
Comme à son habitude, elle avait envoyé des signes plus ou moins subliminaux. Comme à son habitude, il les avait ignorés, provoquant chez elle une contrariété dissimulée mais perceptible. Les messages de plus en plus maladroits qu'il lui adressait ne semblaient même pas l'atteindre. Toute à sa déception, elle ne semblait pas en mesure de les entendre. La situation était ridicule. il fut soudain submergé par une détresse terrible. Il était malheureux, il avait perdu tous ses espoirs. Cela n'arriverait jamais.
Un silence pesant s'installa entre eux. Au bout d'un moment, elle annonça qu'elle allait se repoudrer le nez. C'est à peine s'il l'entendit. Elle se leva. Alors qu'elle passait à côté de lui, elle se pencha vers lui et l'embrassa furtivement. Le temps qu'il réalise ce qui venait de se passer, elle était déjà partie.
A son retour, il posa pour la première fois la main sur la sienne. Puis il la prit et l'amena vers ses lèvres pour y déposer un premier baiser. Toutes ses craintes s'étaient envolées. Il était maintenant sur de lui, sur d'elle et sur de ce qui allait leur arriver.
↧