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La fleur aux dents par Diamond-dog

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Stéphane a treize ans et défoncer un paquet de Granola d’une traite ne lui fait pas peur. Pas plus que liquider une 33 Export en cachette ou torpiller une Gitane sans filtre à son paternel pour la griller au fond du jardin. Après, il lui arrive de vomir. Mais, à cet âge où les jeunes mâles rivalisent de connerie pour donner des gages de leur bravoure, Stéphane assure le bal : c’est pas une majorette, bordel ! Il fait moins le barbot le samedi après-midi quand, entre spots multicolores, piles de 45 tours et orgie de Savane de Brossard, la jeune humanité fait ses classes dans un quelconque garage tenant lieu de sas vers la puberté. « Ai no corrida » s’éteint, « Song for Guy » s’éveille… et le tri sélectif s’enclenche, dans toute sa cruauté. Sale temps pour les plus moches des pucelles et les moins téméraires des picadors en herbe. Les premières devront attendre un peu pour compenser leur physique ingrat par un éventuel avant-gardisme de la culotte. Les seconds ne peuvent pas encore s’en remettre à la gnôle pour s’inventer de la vaillance. Ça viendra vite. Stéphane se situe plutôt dans le bon wagon, niveau potentiel attractif. En dépit d’un front moucheté d’acné et d’un conflit récurrent avec le pommeau de douche. Manque de bol, Stéphane est également affligé d’une couardise de concours dès qu’il est question de gonzesses. Il passe donc le plus clair de ces samedis après-midi à observer, de loin, les starlettes du préau réciter leurs gammes : ça rit très haut dans les aigus pour se faire remarquer ; ça danse entre filles sur The Jam ou Quarterflash, histoire d’agacer le daguet ; ça travaille sa technique en matière de pose hautaine et mutine… Parfois, l’une d’entre elles use de son pouvoir de dire « oui » pour adresser un sourire de défi mêlé d’invite à Stéphane. Ça suffit amplement à son bonheur. Il fait le beau comme un teckel, espérant que la débutante se montrera magnanime jusqu’au bout et voudra bien lui accorder l’aumône. Stéphane a 20 ans et défoncer une demi bouteille de gin d’une traite ne lui fait pas peur. C’est un tort : il vomit souvent. Mais, après tout, ça fait désormais partie des figures imposées du samedi soir, à un âge où l’alcool prend le pas sur les concours de bites et facilite l’accès aux jupes des filles. La jeunesse au zénith s’est extirpée du garage pour réquisitionner la maison parentale et célébrer des bacchanales nocturnes. Planqué derrière ses Wayfarers, Stéphane admire, fasciné, un bassin ondulant avec grâce au rythme de Terrence Trent d’Arby ou Robert Palmer. « Simply irresistible »… Bob le Classieux a toujours le mot qu’il faut… Une avalanche de watts envahit la plaine tandis que Stéphane s’imagine triompher au bras de la belle. Il écluse du Jack Daniel’s et inhale l’équivalent en goudron d’une bretelle d’autoroute, espérant trouver le courage d’aller lui quémander un « oui ». Un « oui, mais » , même frelaté, ferait l’affaire. Lorsqu’il lui extorque un slow sur la version symphonique de « Your song », sa poitrine implose. Stéphane se voit déjà consacrer les cinquante ou soixante prochaines années à lui bâtir des châteaux et des empires, à lui offrir des perles de pluie venues d’un pays où il ne pleut pas… enfin toutes ces bouffonneries taillées dans le loukoum à la rose, que les chanteurs exaltés ont érigées en fortune indépassable. Deux heures plus tard, la programmation musicale produit son meilleur effet. A moins que ce ne soit la solidité de l’open bar. Ou les deux. Pleine comme une cantine, l’objet du désir abandonne une bonne partie de son raffinement distant. Accompagnant les paroles déboulant pleine bourre des enceintes en sursis, elle lance à Stéphane un regard d’une lubricité tout avinée en susurrant « ton goût du revers n’a rien de pervers ». Lui comprend soudain pourquoi Dieu a inventé Mylène Farmer. Stéphane a 30 ans. Il se défonce à tout un tas de trucs mais vomit surtout des couleuvres, maintenant. Maussades, les couleuvres. Il a quitté le nid familial depuis belle lurette, pour un appartement extra slim. C’est donc à l’extérieur qu’il s’en va chercher l’ivresse des femmes et de la musique. Dans ces lieux de perdition où tout devient vite gris, nivelé, factice. Victime de siècles d’acculturation, Stéphane a instinctivement recherché la martingale du couple, durant quelques années. Le vrai couple, celui que l’on voit dans les films : bobonne, éperdue d’amour et de naturelle admiration, prépare le café et les pancakes de son homme avant d’aller torcher les moutards. Il s’y est brisé deux ou trois fois les dents de devant. Il se rêvait couronné sur son trône ; il s’est réveillé les couilles au broyeur et l’ego dans le caniveau, soldant avec Isabelle ou Caroline quelques années de cohabitation en répartissant équitablement le frigo, le lave-linge, les rouleaux de PQ et les boîtes de flageolets Bonduelle. Les humains sont versatiles et les défaites du cœur parmi les plus acides. Mais pour cautériser les plaies de sa créature et apaiser son âme, Dieu, dans son infinité bonté, a inventé le pure malt. Stéphane s’est ensuite vengé du monde en tuméfiant le cœur de quelques idiotes, dont le seul tort fut de croiser son chemin au mauvais moment. « Still the same »… Il est apaisé, maintenant. Il se contente du plaisir simple des joies contractuelles. Accoudé au bar d’un établissement vaguement chic, il taille la nuit et contemple, amusé, la performance des chasseresses. Une sophistication de bon aloi, des robes courtes et moulantes à faire bander les morts. Une gestuelle calculée, qui s’étiole à mesure que les heures passent et que le Moët s’évapore. Des pas de danse cherchant le parfait équilibre entre élégance attractive et suggestion sexuelle… pour un résultat diversement appréciable, selon les concurrentes. Stéphane n’éprouve pas le moindre doute : au moins deux de ces plantes carnivores n’attendent qu’une occasion de dire « oui ». Un « oui » pas trop fardé de salamalecs ; un « oui » version agence d’intérim. Exactement ce qu’il lui faut. Stéphane laisse s’égrener les ultimes vocalises de Janet Jackson et inspire longuement. Les Cardigans feront bien mieux l’affaire, pour opérer le rapprochement et se proposer en tête de gondole. Le « oui » viendra tôt ou tard ; le théâtre a ses règles. Cette musique l’ennuie un peu, mais ça n’a plus d’importance. Stéphane a quarante ans depuis quelques années. Il en a un peu marre de se défoncer, que ce soit au boulot ou en caressant des culs de bouteille. C’est devenu moins drôle et beaucoup plus fatigant. Stéphane a globalement cessé de vomir. Pas d’avoir la nausée, mais c’est un autre débat. Comme toujours dans ce genre de soirées réunissant une douzaine de convives, majoritairement normés, autour d’un buffet traiteur, de vins fins et de souvenirs de jeunesse, Stéphane est traversé, à intervalles réguliers, par un léger vent de solitude. Ça cause carte scolaire, pistes cyclables et caisse de retraite ; lui persiste à penser Neverland et amazones. Stéphane a oublié le prénom de la femme qui vient d’enfourner une compil de Roxy Music dans la hi-fi du salon, pour se mettre immédiatement à remuer de la croupe, envoûtée par le « Kiss and tell » du grand Bryan. Excellent choix. Elle doit afficher, grosso modo, le même compteur que lui, mais a su conserver une indéniable prestance. Comme les sportifs en fin de carrière, elle compense une flamboyance révolue par son sens du placement et l’expérience du combat. Leurs regards se croisent. Plus de place pour l’équivoque, ils ont passé l’âge de l’emphase et des minauderies de circonstance. Tels deux acteurs roués aux vieilles ficelles du métier, ils entament un jeu de rôles auquel chacun fera semblant de croire. Ça peut rester rafraîchissant, malgré tout. « Now the party’s over, I’m so tired… »… Bryan manie l’ironie sans le vouloir. Mais il sait toujours y faire pour inspirer l’envie d’un tour de piste. Stéphane finira par dire « oui », il le sait déjà. S’installer aux commandes prend seulement du temps, simple affaire de patience. Dommage qu’une fois conquis, le pouvoir prenne parfois des allures de coquille vide. « Oui » - Zazie http://www.youtube.com/watch?v=dntnrZw1Sgw&feature « La fleur aux dents » - Joe Dassin http://www.youtube.com/watch?v=3CgeBVcpCes&feature « Ai no corrida » - Chaz Jenkel http://www.youtube.com/watch?v=asA5mPZDCW8&feature « Song for Guy » - Elton John http://www.youtube.com/watch?v=H3bSY6tXj3c&feature « Town called Malice » - The Jams http://www.youtube.com/watch?v=YfpRm-p7qlY « Harden my heart » - Quarterflash http://www.youtube.com/watch?v=OqeKV2UYq1Q “Whishing well” – TTDA http://www.youtube.com/watch?v=ynIHsHYaig0 “Didn’t mean to turn you on” – Robert Palmer http://www.youtube.com/watch?v=d51FaknDwzA “Simply irresistible” – Robert Palmer http://www.youtube.com/watch?v=tkvrzpC9yAU&feature “Your song” – Elton John http://www.youtube.com/watch?v=a7TIEmEbbWw “Pourvu qu’elles soient douces” – Mylène Farmer http://www.youtube.com/watch?v=LG4PHWobUpw « Still the same » - Bob Seger http://www.youtube.com/watch?v=zjhRZQj-BXo&feature « Together again » - Janet Jackson http://www.youtube.com/watch?v=LyQ_81dChWU&feature « Lovefool » - The Cardigans http://www.youtube.com/watch?v=H2T9uB8Egcs&feature « Kiss & tell » - Bryan Ferry http://www.youtube.com/watch?v=yaEtu-JFrCY&feature « Avalon » - Roxy Music http://www.youtube.com/watch?v=Ckae6swzVgo&feature

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