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Mémoire du Présent par Zone

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Notre commun bien, le monde, a ses propres usages, usages dont personne ne sait toutes les ressources ni toutes les issues. Au sortir de l'adolescence, ayant abdiqué toute foi et laissé loin la croyance, je me suis pris au jeu de douter de tout ce que je voyais : où était le réel, les êtres et les choses répondaient-ils donc à quelques nécéssités invisibles et qui auraient leurs lois elles ausi que je ne voyais pas, que peut-être personne n'aurait eu privilège en totalité de comprendre au cours d'une incarnation..? Un mot, l'âme, ne serait-ce qu'un mot, rien d'autre ? Peu à peu se creusant dans le lit de l'insomnie chronique et les séjours en cliniques et maisons de repos, avançait en moi un mélange de peur, d'incomplétude et de désir de connaître. Mais quoi ? Je formulais en lisant le monde et les livres, les vies et les personnes, ceci: si la présence vraie de ce monde est mieux et plus que la somme de toute ses manifestations en mon être borné, où est ce point qui me relie au réel et à l'absolu ? Aujourd'hui, je le crains pour nous tous, ce point me semble la mémoire. La mémoire en tant que vecteur de devenir, ce pas vers l'inconnu et le tout-autre qui pourtant nous connait. Deux auteurs ont initié ce chemin: Dostoïevsky et Pascal. Le premier roman russe que j'ai lu, Crime et Châtiment, m'avait d'abord semblé incompréhensible. Pourquoi ? Je vivais à l'époque dans une grisaille de grande banlieue la médiocrité des années 80: milieu composite et mixte, le seul lien culturel étant un transistor ( accès à France Culture, puis à d'autres radios en petites ondes à l'époque ), alors que ma cité de quatre milles logements HLM en barre étirait depuis plus de vingt ans sa haine de vivre, de vivre et de mourir. Je ne comprenais pas deux catégories ontologiques pourtant aujourd'hui évidentes: le bien et le mal. Comme si un reste de ténèbre était resté planté depuis des générations sur ces deux notions semble-t-il antagonistes. Maintenant, je crois que le Mal comme le Bien sont deux universaux mais ... Que le premier n'est pas autre chose que la somme des dimenssions des maux de chacune et chacun d'entre-nous, alors que le Bien me semble relever d'un tout autre domaine que celui de l'expérience. Le traumatisme d'une enfance solitaire, où l'absence de famille constituée et l'absence de tout repère culturel fixe face au consumérisme ambiant, m'avait laissé sans entendre ce que le bien pouvait signifier, ce trauma est pourtant toujours présent comme une charge accusatoire envers notre réel: le bien passe en son chemin par la réalisation d'un possible bonheur qui ne peut être que commun. Hors dans ma mémoire de treize ans le bien commun était l'antithèse de la réalité que je vivais entre ma banlieue, ses supermarchés et les racismes des uns et des autres. Le mal est une pregnance qui conditionne sans retour ce que le monde peut raisonnablement offrir de nouveau ou simplement de bon et de beau à vivre. Cette pregnance a pour nom la souffrance, voire la maladie. Le bien me semblait hors d'atteinte, et hors du champ des communs mortels dont j'espère faire partie. Le crîme de chacun m'y semblait alors être une puissance que les leviers de notre société démultipliaient parfois sans que nous ne nous en rendions compte. L'étudiant Raskolnikov qui assassine la logeuse tue mécaniquement, sans autre sentiment que celui du couteau, dont il ne goûte pas même la joie. Je me sentais coupable que quelque chose de mal par une faute originelle puisse advenir même très loin de moi. Je crois aujourd'hui que mon mal était d'adopter, de me conformer à une mémoire qui n'avait rien de vrai à me donner à vivre. Cette mémoire que j'ai rejetée n'est pas seulement chrétienne, celle qui a fondé l'Europe, mais aussi juive voire simplement monothéiste: concevoir une origine unique avec un plan à réaliser dans l'espace et le temps pour accomplir une forme d'épreuve dont nous serions les âmes, un jeu en quelque sorte, mécanique du bien et du mal avec la mémoire des actes bons et celle des péchés. La mode bouddhiste qui se répend en occident me laisse tout autant songeur: les dettes karmiques sont un capital facile pour celui qui veut expliquer. Or je ne crois pas que le monde soit une théorie. Le message religieux me semblant un pari au sens pascalien du mot, j'en reviens ici à mon point de départ. Notre conscience est mémoire, le bien et le mal sont des catégories issues de la mémoire, et peut-il y avoir une autre forme de mémoire qui laisse place à une réalisation vraie, une libération absolue et sans retour qui serait comme savoir où s'origine et où va notre être premier, nommons cela une âme ou un souffle, une essence ou un " rua'ch", où est cette présence ? C'est là ce que je crois. N'ayant trouvé que de l'illusion dans la Bible ou ailleurs, ou de belles images emplies d'un génie qui n'est plus, je me sens à la fois vieux et jeune, hors du temps si ce n'est que le présent, mais un présent mnémonique, qui lui, ressemble de plus en plus à un feu créateur ou un foyer presque maternel d'où l'infini de toute nos évolutions pourrait naître par connaissance, incarnation et oeuvre de mémoire. Il paraît que ça s'appelle la Vie . D'autre penseront à un nom, " Je deviens! " ou à une nature originelle. Les mots nous connaissent si bien, puisqu'ils nous domestiquent depuis tant de siècles. Où vont-elles, ces énergies ? " Je me souviens ! " m'a toujours semblé une très belle phrase... Je crois que le bien passe infiniment l'infini. Le paradoxe aussi me semble depuis un grand signe de vie. Quelle grande chose que de se savoir ignorant, quelle ignorance que se savoir quelque chose ou quelqu'un ! Mémoire donc, incarnée, présente et absente en même temps. Singulière et plurielle en même lieu. On tourne en rond... Je vais dîner. A vous !

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