Hier un type m'a raconté sa vie.
Il m'a gonflé. On s' était déjà croisés dans les couloirs de l'hôtel- bonjour- au- revoir en passant-, mais là il m'est littéralement tombé dessus pour tout me raconter. Et vraiment ça m'a gonflé.
D' abord, il a commencé par des tas de choses sans intérêt, ensuite il a tourné autour du pot pendant un quart d'heure, puis a fini par m'avouer, sans plus de pudeur, que s'il était ici c'est que sa femme l'avait fichu dehors et qu'il avait pris une chambre à l'hôtel en attendant. Il avait choisi cet hôtel pour s' éviter trop de frais, car c'était bien sûr le moins cher, et qu'il préférait patienter là que d'aller rechercher un appartement avec tout ce que cela impliquait de dépenses, démarches et paperasses, et puis ce serait inutile, parce que de toutes façons, selon lui, cela ne durerait pas et que forcément sa femme finirait par le rappeler et qu'il rentrerait chez lui. Du coup, il vivait à l'hôtel en attendant. Il aurait pu aussi choisir d'aller vivre dans la famille qui bien entendu était prête à l'héberger le temps qu'il faudrait, il avait plein de frères, de soeurs et de cousins qui pouvaient l' accueillir sans problème, et même qu'il aurait pu aller crécher chez des potes. D' ailleurs il rajoutait comme pour me convaincre, qu'il avait plein de potes qui lui avaient proposé un lit chez eux, et même un qui lui prêtait un appart en centre ville, mais qu'il avait refusé parce que le centre c'était loin de chez lui et que cela lui compliquerait la vie. Et puis il n'aimait pas le centre ville. Il avait choisi cet hôtel exprès justement parce que lui, c' était le périph qu'il préférait. Lui et sa femme habitaient la banlieue et avaient leurs habitudes. Là dans cet hôtel c'était pareil, il s'y sentait comme chez lui. Avec l' autoroute à côté. Les parkings remplis de belles bagnoles brillantes. La nuit il regardait par la fenêtre de sa chambre, il pouvait voir les lumières des centres commerciaux clignoter, multicolores, les panneaux des annonceurs, les phares des automobiles sur la bretelle en face l'hôtel, et puis le bruit, ça lui plaisait, la rumeur de la route, la musique des boîtes de nuit, des bars, des auto-radios des gamins en bas de l'immeuble, le choc des canettes de bière qui roulaient sur le béton, il aimait ça car c'était plus vivant que n'importe où dans la ville. Ca lui faisait penser à Las Vegas. Une fête perpétuelle. Et des nuits folles. Ca le faisait rêver ce coin de périph.
Il était donc là, chambre 308, avec la télé, au-dessus de la tablette, branchée en permanence même s'il ne la regardait pas tout le temps, mais pour l'ambiance-, avec douche sur le palier, et vue sur le parking, en attendant que sa femme se décide à l'appeler.
Elle ne tarderait plus. Il avait l'habitude. Elle finirait par lui dire de rentrer. D'abord il faudrait qu'elle lui fasse des excuses. Il ne rentrerait pas tant qu'elle ne se serait pas excusée. Là elle devait encore être en rogne, mais il la connaissait bien, il savait que ça finirait par lui passer et qu'elle allait le rappeler. Voilà pourquoi il était ici à l'hôtel. En attendant.
De toutes façons, il ne resterait pas longtemps. En partant, il n'avait d'ailleurs pris qu'un simple sac. Pas une valise. Juste un sac, de quoi tenir quelques jours tout au plus. Il la connaissait bien sa femme ! elle ne tarderait plus à lui faire un signe.
C' était pour éviter de dépenser trop qu'il avait choisi cette formule. L'hôtel là, cela lui permettait de faire de sacrées économies quand même. Avec quatre petits à charge, sa femme serait contente de voir qu'il avait fait le bon choix.
En attendant, moi, ça m'a gonflé son histoire.
C'est vrai quoi, j'avais choisi cet hôtel pour être tranquille. Et pour son atmosphère à la Edward Hopper.
Quand j'ai besoin d'être seul, quand j'ai besoin d'air, c'est ma bouffée d'oxygène.
Inspiré de l'hypnotique documentaire d' Emmanuel Marre : Chaumière (2012) diffusé dans la nuit de lundi sur Arte
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